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QUELQUES NOTES DE DICK SAND

— 7 etmai. — Le lendemain, on compte les victimes. Vingt esclaves ont disparu.

Au jour levant, j’ai cherché Tom et ses compagnons ! Dieu soit loué ! Ils sont vivants ! Hélas ! faut-il en louer Dieu ? N’est-on pas plus heureux d’en avoir fini avec toutes ces misères !

Tom est en tête du convoi. À un moment où son fils Bat a fait un crochet, la fourche s’est présentée obliquement et Tom a pu m’apercevoir.

Je cherche vainement la vieille Nan ! Est-elle confondue dans le groupe central, ou a-t-elle péri pendant cette nuit épouvantable ?

Le lendemain, dépassé la limite de la plaine inondée, après vingt-quatre heures dans l’eau. On fait halte sur une colline. Le soleil nous sèche un peu. On mange, mais quelle misérable nourriture ! Un peu de manioc, quelques poignées de maïs ! Rien que l’eau trouble à boire ! Des prisonniers étendus sur le sol, combien ne se relèveront pas !

Non ! il n’est pas possible que Mrs Weldon et son enfant aient passé par tant de misères ! Dieu leur aura fait la grâce d’avoir été conduits par un autre chemin à Kazonndé ! La malheureuse mère n’aurait pu résister !…

Nouveaux cas de petite vérole dans la caravane, la « ndoué », comme ils disent ! Les malades ne pourront aller loin. Les abandonnera-t-on ?

— 9 mai. — On s’est remis en marche dès l’aube. Pas de retardataires. Le fouet de l’havildar a vivement relevé ceux que la fatigue ou la maladie accablait ! Ces esclaves ont une valeur. C’est une monnaie. Les agents ne les laisseront pas en arrière, tant qu’il leur restera la force de marcher.

Je suis environné de squelettes vivants. Ils n’ont plus assez de voix pour se plaindre.

J’ai enfin aperçu la vieille Nan ! Elle fait mal à voir ! L’enfant qu’elle portait n’est plus entre ses bras ! Elle est seule d’ailleurs ! Ce sera moins pénible pour elle, mais la chaîne est encore à sa ceinture, et elle a dû en rejeter le bout par-dessus son épaule.

En me hâtant, j’ai pu m’approcher d’elle. On aurait dit qu’elle ne me reconnaissait pas ! Suis-je donc changé à ce point ?

« Nan ! » ai-je dit.

La vieille servante m’a regardé longtemps, et enfin :

« Vous, monsieur Dick ! Moi… moi !… avant peu, je serai morte !

— Non, non ! du courage ! ai-je répondu, pendant que mes yeux se baissaient pour ne pas voir ce qui n’était plus que le spectre exsangue de l’infortunée !