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QUELQUES NOTES DE DICK SAND

impossible même pendant ces nuits pluvieuses, que, l’heure de la distribution des vivres arrivée, les prisonniers pouvaient à peine manger. Aussi, huit jours après le départ de la Coanza, une vingtaine étaient-ils encore tombés sur la route, à la merci des fauves, qui rôdaient en arrière du convoi. Lions, panthères et léopards attendaient les victimes qui ne pouvaient leur manquer, et, chaque soir, après le coucher du soleil, leurs rugissements éclataient à si courte distance, qu’on pouvait craindre une attaque directe.

En entendant ces rugissements, que l’ombre rend plus formidables encore, Dick Sand ne pensait pas sans terreur aux obstacles que de pareilles rencontres pouvaient élever contre les entreprises d’Hercule, aux périls qui menaceraient chacun de ses pas. Et cependant, s’il eût trouvé l’occasion de fuir, lui aussi, il n’aurait pas hésité.

Du reste, voici les notes que Dick Sand prit pendant cet itinéraire de la Coanza à Kazonndé. Vingt-cinq « marches » furent employées à faire ce trajet de deux cent cinquante milles, la « marche » dans le langage des traitants étant de dix milles avec halte de jour et de nuit.

Du 25 au 27 avril. — Vu un village entouré de murs de roseaux hauts de huit à neuf pieds. Champs cultivés en maïs, fèves, sorgho et diverses arachides. Deux noirs saisis et faits prisonniers. Quinze tués. Population en fuite.

Le lendemain, traversé une rivière tumultueuse, large de cent cinquante yards. Pont flottant formé de troncs d’arbres rattachés avec des lianes. Pilotis à demi rompus. Deux femmes, liées à la même fourche, précipitées dans les eaux. L’une portant son petit enfant. Les eaux s’agitent et se teignent de sang. Les crocodiles se glissent entre les branchages du pont. On risque de mettre le pied dans des gueules ouvertes…

— 28 avril. — Traversé une forêt de bauhinias. Arbres de haute futaie, de ceux qui fournissent le bois de fer aux Portugais.

Forte pluie. Terrain détrempé. Marche extrêmement pénible.

Aperçu, vers le centre du convoi, la pauvre Nan, portant un petit négrillon dans ses bras. Elle se traîne difficilement. L’esclave enchaînée avec elle boite, et le sang coule de son épaule déchirée à coups de fouet.

Campé le soir sous un énorme baobab à fleurs blanches et d’un feuillage vert tendre.

Pendant la nuit, rugissements de lions et de léopards. Coup de feu tiré par un des indigènes sur une panthère. Que devient Hercule ?…

— 29 et 30 avril. — Premiers froids de ce qu’on appelle l’hiver africain. Rosée