Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/239

Cette page a été validée par deux contributeurs.
229
LEÇON SUR LES FOURMIS DANS UNE FOURMILIÈRE

ment ou non, l’important pour nous est que les termites l’aient quittée, puisque nous devions y prendre leur place !

— L’important, répondit cousin Bénédict, serait de savoir pour quelles raisons ils l’ont quittée ! Hier, ce matin même, ces sagaces névroptères l’habitaient encore, puisque voilà des sucs liquides, et ce soir…

— Mais qu’en voulez-vous conclure, monsieur Bénédict ? demanda Dick Sand.

— Qu’un pressentiment secret a dû les inviter à abandonner la fourmilière. Non-seulement aucun de ces termites n’est resté dans les cellules, mais ils ont poussé le soin jusqu’à emporter les jeunes larves dont je ne puis trouver une seule ! Eh bien, je répète que tout cela ne s’est pas fait sans motif, et que ces perspicaces insectes prévoyaient quelque danger prochain !

— Ils prévoyaient que nous allions envahir leur demeure ! répondit Hercule en riant.

— Vraiment ! répliqua cousin Bénédict, que cette réponse du brave noir choqua sensiblement. Vous croyez-vous donc si vigoureux que vous soyez un danger pour ces courageux insectes ? Quelques milliers de ces névroptères auraient vite fait de vous réduire à l’état de squelette, s’ils vous rencontraient mort sur leur chemin !

— Mort, sans doute ! répondit Hercule, qui ne voulait pas se rendre ; mais vivant, j’en écraserais bien des masses !

— Vous en écraseriez cent mille, cinq cent mille, un million ! répliqua cousin Bénédict en s’animant, mais non pas un milliard, et un milliard vous dévorerait, vivant ou mort, jusqu’à la dernière parcelle ! »

Pendant cette discussion, qui était moins oiseuse qu’on eût pu le croire, Dick Sand réfléchissait à cette observation qu’avait faite cousin Bénédict. Nul doute que le savant ne connût assez les mœurs des termites pour ne point se tromper. S’il affirmait qu’un secret instinct les avait avertis de quitter récemment la fourmilière, c’est qu’en vérité il y avait peut-être péril à y demeurer.

Cependant, comme il ne pouvait être question d’abandonner cet abri au moment où l’orage se déchaînait avec une intensité sans égale, Dick Sand ne chercha pas davantage l’explication de ce qui paraissait être assez inexplicable, et il se contenta de répondre :

« Eh bien, monsieur Bénédict, si les termites ont laissé leurs provisions dans cette fourmilière, n’oublions pas que nous avons apporté les nôtres, et soupons. Demain, lorsque l’orage aura cessé, nous aviserons à prendre un parti. »