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HARRIS ET NEGORO

j’avais pu quitter le bord sans être vu ; mais pas une piastre, pas un dollar en poche ! Pour vivre, j’ai dû faire tous les métiers…

— Même le métier d’honnête homme, Negoro ?

— Comme tu dis, Harris.

— Pauvre garçon !

— Or, j’attendais toujours une occasion qui tardait à venir, lorsque le baleinier Pilgrim arriva au port d’Auckland.

— Ce bâtiment qui s’est mis à la côte d’Angola ?

— Celui-là même, Harris, et sur lequel Mrs Weldon, son enfant et son cousin allaient prendre passage. Or, en ma qualité d’ancien marin, ayant même été second à bord d’un négrier, je n’étais pas gêné de reprendre du service sur un bâtiment… Je me présentai donc au capitaine du Pilgrim, mais l’équipage était au complet. Très heureusement pour moi, le cuisinier du brick-goélette avait déserté. Or, il n’est pas un marin qui ne sache faire la cuisine. Je m’offris en qualité de maître-coq. Faute de mieux, on m’accepta, et quelques jours après, le Pilgrim avait perdu de vue les terres de Nouvelle-Zélande.

— Mais, demanda Harris, d’après ce que mon jeune ami m’a raconté, le Pilgrim ne faisait pas du tout voile pour la côte d’Afrique ! Comment donc y est-il arrivé ?

— Dick Sand ne doit pas pouvoir le comprendre encore et peut-être ne le comprendra-t-il jamais, répondit Negoro ; mais je vais t’expliquer ce qui s’est passé, Harris, et tu pourras le redire à ton jeune ami, si cela te fait plaisir.

— Comment donc ! répondit Harris. Parle, camarade, parle !

— Le Pilgrim, reprit Negoro, faisait route pour Valparaiso. Lorsque je m’embarquai, je croyais bien n’aller qu’au Chili. C’était toujours une bonne moitié du chemin entre la Nouvelle-Zélande et l’Angola, et je me rapprochais de plusieurs milliers de milles de la côte d’Afrique. Mais il arriva ceci, c’est que trois semaines après avoir quitté Auckland, le capitaine Hull, qui commandait le Pilgrim, disparut avec tout son équipage en chassant une baleine. Ce jour-là, il ne resta donc plus que deux marins à bord, le novice et le cuisinier Negoro.

— Et tu as pris le commandement du navire ? demanda Harris.

— J’eus d’abord cette pensée, mais je voyais qu’on se défiait de moi. Il y avait cinq vigoureux noirs à bord, des hommes libres ! Je n’aurais pas été le maître, et toute réflexion faite, je restai ce que j’étais au départ, le cuisinier du Pilgrim.

— C’est donc le hasard qui a conduit ce navire à la côte d’Afrique ?

— Non, Harris, répondit Negoro, il n’y a d’autre hasard dans toute cette