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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

mon jeune ami Dick Sand me regardait d’un œil inquiet, ses soupçons se changeaient peu à peu en certitudes, et ma foi…

— Cent milles encore, Harris, et ces gens-là eussent été plus sûrement encore dans notre main ! Il ne faut pourtant pas qu’ils nous échappent !

— Eh ! comment le pourraient-ils ? répondit Harris qui haussa les épaules. Je te le répète, Negoro, il n’était que temps de leur fausser compagnie ! J’ai lu dix fois dans ses yeux que mon jeune ami était tenté de m’envoyer une balle en pleine poitrine, et j’ai un trop mauvais estomac pour digérer ces pruneaux de douze à la livre !

— Bon ! fit Negoro. J’ai, moi aussi, un compte à régler avec ce novice…

— Et tu le régleras à ton aise avec les intérêts, camarade. Quant à moi, pendant les premiers jours de marche, je suis bien parvenu à lui faire prendre cette province pour le désert d’Atacama que j’ai visité autrefois ; mais le moutard qui réclamait ses caoutchoucs et ses oiseaux-mouches, mais la mère qui demandait ses quinquinas, mais le cousin qui s’entêtait à trouver des cocuyos !… Ma foi, j’étais à bout d’imagination, et, après leur avoir fait avaler à grand’peine des autruches pour des girafes… une trouvaille, cela, Negoro ! — je ne savais plus qu’inventer ! D’ailleurs je voyais bien que mon jeune ami n’acceptait plus mes explications ! Puis, nous sommes tombés sur des traces d’éléphants ! Puis, les hippopotames se sont mis de la partie ! Et tu sais, Negoro, des hippopotames et des éléphants en Amérique, c’est comme des honnêtes gens aux pénitentiaires de Benguela ! Enfin, pour m’achever, voilà le vieux noir qui s’avise de dénicher au pied d’un arbre des fourches et des chaînes dont quelques esclaves s’étaient débarrassés pour fuir ! Au même moment rugit le lion, brochant sur le tout, et il est malaisé de faire prendre son rugissement pour le miaulement d’un chat inoffensif ! Je n’ai donc eu que le temps de sauter sur mon cheval et de filer jusqu’ici !

— Je comprends ! répondit Negoro. Néanmoins, j’aurais voulu les tenir cent milles plus avant dans la province !

— On fait ce qu’on peut, camarade, répondit Harris. Quant à toi, qui suivais notre caravane depuis la côte, tu as bien fait de garder ta distance. On te sentait là ! Il y a un certain Dingo, qui ne paraît pas t’affectionner. Que lui as-tu donc fait, à cet animal ?

— Rien, répondit Negoro, mais avant peu, il recevra quelque balle dans la tête.

— Comme tu en aurais reçu une de Dick Sand, si tu avais montré tant soit peu de ta personne à deux cents pas de son fusil. Ah ! c’est qu’il tire bien, mon jeune