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LA TRAITE

grands lacs, sur toute cette vaste contrée qui alimente le marché de Zanzibar, dans le Bornou et le Fezzan, plus au sud, sur les rives du Nyassa et du Zambèse, plus à l’ouest, dans les districts du haut Zaïre que l’audacieux Stanley vient de traverser, même spectacle, ruines, massacres, dépopulation. L’esclavage ne finira-t-il donc en Afrique qu’avec la disparition de la race noire, et en sera-t-il de cette race comme il en est de la race australienne dans la Nouvelle-Hollande !

Mais le marché des colonies espagnoles et portugaises se fermera un jour, ce débouché fera défaut ; des peuples civilisés ne peuvent plus longtemps tolérer la traite !

Oui, sans doute, et cette année même, 1878, doit voir l’affranchissement de tous les esclaves possédés encore par les États chrétiens. Toutefois, pendant de longues années encore, les nations musulmanes maintiendront ce trafic qui dépeuple le continent africain. C’est vers elles en effet que se fait la plus importante émigration de noirs, puisque le chiffre des indigènes, arrachés à leurs provinces et dirigés vers la côte orientale, dépasse annuellement quarante mille. Bien avant l’expédition d’Égypte, les nègres du Sennaar étaient vendus par milliers aux nègres du Darfour, et réciproquement. Le général Bonaparte put même acheter un assez grand nombre de ces noirs dont il fit des soldats organisés à la façon des mameluks. Depuis lors, pendant ce siècle dont les quatre cinquièmes sont maintenant écoulés, le commerce des esclaves n’a pas diminué en Afrique. Au contraire.

Et, en effet, l’islamisme est favorable à la traite. Il a fallu que l’esclave noir vînt remplacer, dans les provinces musulmanes, l’esclave blanc d’autrefois. Aussi, des traitants de toute origine font-ils en grand cet exécrable trafic. Ils apportent ainsi un supplément de population à ces races qui s’éteignent et disparaîtront un jour, puisqu’elles ne se régénèrent pas par le travail. Ces esclaves, comme au temps de Bonaparte, deviennent souvent des soldats. Chez certains peuples du haut Niger, ils composent pour moitié les armées des chefs africains. Dans ces conditions, leur sort n’est pas sensiblement inférieur à celui des hommes libres. D’ailleurs, quand l’esclave n’est pas un soldat, il est une monnaie qui a cours, même en Égypte, et au Bornou, officiers et fonctionnaires sont payés en cette monnaie-là. Guillaume Lejean l’a vu et l’a dit.

Tel est donc l’état actuel de la traite.

Faut-il ajouter que nombre d’agents des grandes puissances européennes n’ont pas honte de montrer pour ce commerce une indulgence regrettable ?