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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

Quoi qu’il en soit, l’opinion de Dick fut faite sur Harris. Il sentait en lui un traître ! Il n’attendait qu’une occasion pour mettre à nu sa déloyauté, pour en avoir raison, et tout lui disait que cette occasion était proche.

Mais quel pouvait être le but secret d’Harris ? Quel avenir attendait donc les survivants du Pilgrim ? Dick Sand se répétait que sa responsabilité n’avait pas cessé avec le naufrage. Il lui faudrait encore, et plus que jamais, pourvoir au salut de ceux que l’échouage avait jetés sur cette côte ! Cette femme, ce jeune enfant, ces noirs, tous ses compagnons d’infortune, c’était lui seul qui devait les sauver ! Mais s’il pouvait tenter quelque chose à bord, s’il pouvait agir en marin, ici, au milieu des terribles épreuves qu’il entrevoyait, quel parti prendrait-il ?

Dick Sand ne voulut pas fermer les yeux devant l’effroyable réalité que chaque instant rendait plus indiscutable. Le capitaine de quinze ans qu’il avait été sur le Pilgrim, il le redevenait dans ces conjonctures ! Mais il ne voulut rien dire qui pût alarmer la pauvre mère, avant que le moment fût venu d’agir !

Et il ne dit rien, même quand, arrivé sur les bords d’un cours d’eau assez large, précédant la petite troupe d’une centaine de pas, il aperçut d’énormes animaux qui se précipitaient sous les grandes herbes de la berge.

« Des hippopotames ! des hippopotames ! » allait-il s’écrier.

Et c’étaient bien de ces pachydermes à grosse tête, à large museau renflé, dont la bouche est armée de dents qui la dépassent de plus d’un pied, qui sont trapus sur leurs jambes courtes, dont la peau, dépourvue de poils, est d’un roux tanné ! Des hippopotames en Amérique !

On continua de marcher pendant toute la journée, mais péniblement. La fatigue commençait à retarder même les plus robustes. Il était vraiment temps qu’on arrivât, ou bien on serait forcé de s’arrêter.

Mrs Weldon, uniquement occupée de son petit Jack, ne sentait peut-être pas la fatigue, mais ses forces étaient épuisées. Tous, plus ou moins, étaient rendus. Dick Sand résistait par une suprême énergie morale, puisée dans le sentiment du devoir.

Vers quatre heures du soir, le vieux Tom trouva, dans l’herbe, un objet qui attira son attention. C’était une arme, une sorte de couteau, d’une forme particulière, formé d’une large lame courbe, emmanchée dans un carré d’ivoire assez grossièrement ornementé.

Ce couteau, Tom le porta à Dick Sand, qui le prit, l’examina, et, finalement, le montra à l’Américain, disant :