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LE MOT TERRIBLE !

Or, si le cheval ne sentait rien de l’écurie, dont il devait avoir grand besoin, rien non plus n’annonçait les approches d’une grande exploitation, telle que devait être l’hacienda de San-Felice.

Mrs Weldon, tout indifférente qu’elle fût alors à ce qui n’était pas son enfant, fut frappée de voir encore la contrée si déserte. Quoi ! pas un indigène, pas un des serviteurs de l’hacienda, à une si médiocre distance ! Harris s’était-il égaré ? Non ! Elle repoussa cette idée. Un nouveau retard, c’eût été la mort de son petit Jack !

Cependant, Harris allait toujours en avant ; mais il semblait observer les profondeurs du bois, et regarder à droite, à gauche, comme un homme qui n’est pas sûr de lui… ou de sa route !

Mrs Weldon ferma les yeux pour ne plus le voir.

Après une plaine large d’un mille, la forêt, sans être aussi épaisse que dans l’ouest, avait reparu, et la petite troupe s’enfonça de nouveau sous les grands arbres.

À six heures du soir, on était arrivé auprès d’un fourré qui paraissait avoir récemment livré passage à une bande de puissants animaux.

Dick Sand observa très attentivement autour de lui.

À une hauteur qui dépassait de beaucoup la taille humaine, les branches étaient arrachées ou brisées. En même temps, les herbes, violemment écartées, laissaient voir sur le sol, un peu marécageux, des empreintes de pas qui ne pouvaient être ceux de jaguars ou de couguars.

Étaient-ce donc des « aïs » ou quelques autres tardigrades dont le pied avait ainsi marqué le sol ? Mais comment expliquer alors le bris des branches à une telle hauteur ?

Des éléphants auraient pu, sans doute, laisser de telles empreintes, imprimer ces larges traces, faire une trouée pareille dans l’impénétrable taillis. Mais de ces éléphants, il ne s’en trouve pas en Amérique. Ces énormes pachydermes ne sont point originaires du Nouveau-Monde. On ne les y a jamais acclimatés, non plus.

L’hypothèse que des éléphants eussent passé là était absolument inadmissible.

Quoi qu’il en fût, Dick Sand ne fit point connaître ce que cet inexplicable fait lui donna à penser. Il n’interrogea même pas l’Américain à cet égard. Qu’attendre d’un homme qui avait essayé de lui faire prendre des girafes pour des autruches ? Harris eût encore donné là quelque explication, plus ou moins bien imaginée, qui n’aurait rien changé à la situation.