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EN ROUTE

en avril, d’autres ne l’étant qu’en septembre, et, conséquemment, leurs mangues étaient à point.

« Oui ! c’est bon, bon, bon ! disait le petit Jack, la bouche pleine. Mais mon ami Dick m’a promis des caoutchoucs, si j’étais bien sage, et je veux des caoutchoucs !

— Tu en auras, mon Jack, répondit Mrs Weldon, puisque monsieur Harris te l’assure.

— Mais ce n’est pas tout, reprit Jack, mon ami Dick m’a encore promis autre chose !

— Qu’a donc promis l’ami Dick ? demanda Harris en souriant.

— Des oiseaux-mouches, monsieur.

— Et vous aurez aussi des oiseaux-mouches, mon petit bonhomme, mais plus loin… plus loin ! » répondit Harris.

Le fait est que le petit Jack avait le droit de réclamer quelques-uns de ces charmants colibris, car il se trouvait dans un pays où ils devaient abonder. Les Indiens, qui savent tresser artistement leurs plumes, ont prodigué les plus poétiques noms à ces bijoux de la gent volatile. Ils les appellent ou les « rayons » ou les « cheveux du soleil ». Ici, c’est le petit roi des fleurs ; là, « la fleur céleste qui vient dans son vol caresser la fleur terrestre ». C’est encore « le bouquet de pierreries, qui rayonne aux feux du jour ! » On peut même croire que leur imagination eût su fournir une nouvelle appellation poétique pour chacune des cent cinquante espèces qui constituent cette merveilleuse tribu des colibris.

Cependant, si nombreux que dussent être ces oiseaux-mouches dans les forêts de la Bolivie, le petit Jack dut se contenter encore de la promesse d’Harris. Suivant l’Américain, on était encore trop près de la côte, et les colibris n’aimaient pas ces déserts rapprochés de l’Océan. La présence de l’homme ne les effarouchait pas, et, à l’hacienda, on n’entendait, tout le jour, que leur cri de « tère-tère », et le bourdonnement de leurs ailes, semblable à celui d’un rouet.

« Ah ! que je voudrais y être ! » s’écriait le petit Jack.

Le plus sûr moyen d’y être, à l'hacienda de San-Felice, c’était de ne pas s’arrêter en chemin. Mrs Weldon et ses compagnons ne prenaient donc que le temps absolument nécessaire au repos.

La forêt changeait déjà d’aspect. Entre les arbres moins pressés s’ouvraient çà et là de larges clairières. Le sol, perçant le tapis d’herbe, montrait alors son ossature de granit rose et de syène, pareil à des plaques de lapis-lazuli. Sur quelques hauteurs foisonnait la salsepareille, plante à tubercules charnus, qui formait un inextricable enchevêtrement. Mieux valait encore la forêt et ses étroites sentes.