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UN CAPITAINE DE QUINZE ANS

dans l’état de la mer n’indiquait ce changement. Le navire avait toujours le même cap, mais le vent et les lames, au lieu de le prendre directement par l’arrière, le frappaient maintenant par la hanche de bâbord, — situation assez dangereuse, qui expose un bâtiment à recevoir de mauvais coups de mer. Aussi Dick Sand fut-il obligé de laisser porter de quatre quarts pour continuer à fuir devant la tempête.

Mais, d’autre part, son attention était éveillée plus que jamais. Il se demandait s’il n’y avait pas quelque rapport entre la chute de Negoro et le bris du premier compas. Qu’était venu faire là le maître-coq ? Est-ce qu’il avait un intérêt quelconque à ce que la seconde boussole fût aussi mise hors de service ? Quel aurait pu être cet intérêt ? Cela ne s’expliquait en aucune façon. Negoro ne devait-il pas désirer, comme tous le désiraient, d’accoster le plus tôt possible la côte américaine ?

Lorsque Dick Sand parla de cet incident à Mrs Weldon, celle-ci, bien qu’elle partageât sa méfiance dans une certaine mesure, ne put trouver de motif plausible à ce qui aurait été une criminelle préméditation de la part du maître-coq.

Cependant, par prudence, Negoro fut très surveillé. Du reste, il tint compte des ordres du novice, et il ne se hasarda plus à venir sur l’arrière du bâtiment, où son service ne l’appelait jamais. D’ailleurs, Dingo y fut installé en permanence, et le cuisinier n’eut garde de l’approcher.

Pendant toute la semaine, la tempête ne diminua pas. Le baromètre baissa encore. Du 14 au 26 mars, il fut impossible de profiter d’une seule accalmie pour installer quelques voiles. Le Pilgrim fuyait dans le nord-est avec une vitesse qui ne pouvait être inférieure à deux cents milles par vingt-quatre heures, et la terre ne paraissait pas ! Et cependant, cette terre, c’était l’Amérique, qui est jetée comme une immense barrière entre l’Atlantique et le Pacifique, sur une longueur de plus de cent vingt degrés !

Dick Sand se demanda s’il n’était pas fou, s’il avait encore le sentiment du vrai, si, depuis tant de jours, à son insu, il ne courait pas dans une direction fausse ! Non ! il ne pouvait s’abuser à ce point ! Le soleil, bien qu’il ne pût l’apercevoir dans les brumes, se levait toujours devant lui pour se coucher derrière lui ! Mais alors, cette terre, avait-elle donc disparu ? Cette Amérique, sur laquelle son navire se briserait peut-être, où était-elle, si elle n’était pas là ? Que ce fût le continent sud ou le continent nord, — car tout était possible dans ce chaos, — le Pilgrim ne pouvait manquer l’un ou l’autre ! Que s’était-il passé depuis le début de cette effroyable tempête ? Que se passait-il encore, puisque cette côte, qu’elle fût le salut ou la perte, n’apparaissait pas ? Dick