Page:Verne - Un capitaine de quinze ans, Hetzel, 1878.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
97
TEMPÊTE

L’aspect du ciel était inquiétant. Les vapeurs se déplaçaient avec des vitesses très différentes. Les nuages de la zone supérieure couraient plus rapidement que ceux des basses couches de l’atmosphère. Il fallait donc prévoir le cas, assez prochain, où ces lourdes masses s’abaisseraient et pourraient changer en tempête, peut-être en ouragan, ce qui n’était encore qu’une brise à l’état de grand frais, c’est-à-dire un déplacement de l’air à raison de quarante-trois milles à l’heure.

Soit que Negoro ne fût pas homme à s’effrayer, soit qu’il ne comprît rien aux menaces du temps, il ne parut pas être impressionné. Cependant, un mauvais sourire parut sur ses lèvres. On eût dit, en fin de compte, que cet état de choses était plutôt fait pour lui plaire que pour lui déplaire. Un instant, il monta sur le beaupré et rampa jusqu’aux liures, afin d’étendre la portée de son regard, comme s’il eût cherché quelque indice à l’horizon. Puis, il redescendit, et tranquillement, sans avoir prononcé un seul mot, sans avoir fait un geste, il regagna le poste de l’équipage.

Cependant, au milieu de toutes ces redoutables conjonctures, il existait une circonstance heureuse, dont chacun devait tenir compte à bord : c’est que ce vent, si violent qu’il fût ou dût devenir, était favorable, et que le Pilgrim semblait rallier rapidement la côte américaine. Si même le temps ne tournait pas à la tempête, cette navigation continuerait à se faire sans grand danger, et les véritables périls ne surgiraient que lorsqu’il s’agirait d’atterrir sur un point mal déterminé du littoral.

C’est bien ce que se demandait déjà Dick Sand. Une fois qu’il aurait connaissance de la terre, comment manœuvrerait-il, s’il ne rencontrait pas quelque pilote, quelque pratique de la côte ? Au cas où le mauvais temps l’obligerait à chercher un port de refuge, que ferait-il, puisque ce littoral lui était absolument inconnu ? Sans doute, il n’avait pas encore à se préoccuper de cette éventualité. Cependant, l’heure venue, il y aurait lieu de prendre une détermination. Eh bien ! Dick Sand la prendrait.

Pendant les treize jours qui s’écoulèrent du 24 février au 9 mars, l’état de l’atmosphère ne se modifia pas d’une façon sensible. Le ciel était toujours chargé de lourdes brumes. Durant quelques heures, le vent diminuait, puis il se reprenait à souffler avec la même force. Deux ou trois fois, le baromètre remonta, mais son oscillation, comprenant une douzaine de lignes, était trop brusque pour annoncer un changement de temps et un retour à des vents plus maniables. D’ailleurs, la colonne barométrique rebaissait presque aussitôt, et rien ne pouvait faire espérer la fin de ce mauvais temps dans un délai rapproché.