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le numéro 9672.

même cherchait-il à reconnaître s’il n’existe pas une troisième cavité inférieure à mi-hauteur de la chute. Sans doute, cela expliquerait comment le Rjukan, après s’y être engouffré, rebondit en rejetant, à de certains intervalles, son trop-plein tumultueux. On dirait que les eaux sont lancées par quelque coup de mine, qui couvre de leurs embruns les fields environnants.

Cependant le touriste s’avançait toujours sur ce dos d’âne, pierreux et glissant, sans une racine, sans une touffe, sans une herbe, qui porte le nom de Passe-de-Marie ou Maristien.

Il ignorait donc, l’imprudent, la légende qui a rendu cette passe célèbre. Un jour, Eystein voulut rejoindre, par ce dangereux chemin, la belle Marie du Vestfjorddal. De l’autre côté de la passe, sa fiancée lui tendait les bras. Tout à coup, son pied manque, il tombe, il glisse, il ne peut se retenir sur ces roches unies comme une glace, il disparaît dans le gouffre, et les rapides du Maan ne rendirent jamais son cadavre.

Ce qui était arrivé à l’infortuné Eystein allait-il donc arriver à ce téméraire engagé sur les pentes du Rjukanfos ?

C’était à craindre. Et, en effet, il s’aperçut du péril, mais trop tard. Soudain, le point d’appui fit défaut à son pied, il poussa un cri, il roula d’une vingtaine de pas, et n’eut que le temps de se raccrocher à la saillie d’une roche, presque à la lisière de l’abîme.

Joël et Hulda ne l’avaient point encore aperçu, mais ils venaient de l’entendre.

« Qu’est-ce donc ? dit Joël en se levant.

– Un cri ! répondit Hulda.

– Oui !… Un cri de détresse !

– De quel côté ?…

– Écoutons ! »

Tous deux regardaient à droite, à gauche de la chute ; ils ne purent rien voir. Ils avaient bien entendu, cependant, ces mots : « À moi !… À moi ! », jetés au milieu d’une de ces accalmies régulières, qui durent près d’une minute entre chaque bond du Rjukan.

L’appel se renouvela.