Page:Verne - Un billet de loterie - suivi de Frritt-Flacc, 1886.djvu/26

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
un billet de loterie.

tête s’inclinait un chapeau brun à larges bords avec ganse noire et lisières rouges. À ses jambes s’adaptaient des guêtres de bure ou des bottes à fortes semelles, plates de talons, dont le cou-de-pied se dessinait imparfaitement sous le chiffonnement du cuir, comme aux bottes de mer.

De son vrai métier, Joël était guide dans le bailliage du Telemark et jusqu’au fond des montagnes du Hardanger. Toujours prêt à partir, toujours infatigable, il méritait d’être comparé à ce héros norvégien, Rollon le Marcheur, célèbre dans les légendes du pays. Entre-temps, il accompagnait les chasseurs anglais, qui viennent volontiers tirer le « riper », ce ptarmigan plus gros que celui des Hébrides, et le « jerper », cette perdrix plus délicate que la grouse d’Écosse. L’hiver arrivé, c’était la chasse aux loups qui le réclamait, lorsque ces carnassiers, poussés par la faim, s’aventurent pendant la mauvaise saison à la surface des lacs glacés. Puis, l’été, c’était la chasse à l’ours, quand cet animal, suivi de ses petits, vient chercher sa nourriture d’herbe fraîche et qu’il faut le poursuivre à travers les plateaux d’une altitude de mille à douze cents pieds. Plus d’une fois, Joël ne dut la vie qu’à sa force prodigieuse, qui le rendait capable de résister aux étreintes de ces formidables bêtes, et à son imperturbable sang-froid, qui lui permettait de s’en dégager.

Enfin, lorsqu’il n’y avait ni touriste à guider dans la vallée du Vestfjorddal, ni chasseur à conduire sur les fields, Joël s’occupait du petit sœter, situé à quelques milles dans la montagne. Là, un jeune berger, aux gages de dame Hansen, était employé à la garde d’une demi-douzaine de vaches et d’une trentaine de moutons – le sœter ne comprenant que des pâturages sans aucune sorte de culture.

De sa nature, Joël était obligeant et serviable. Connu dans tous les gaards du Telemark, c’est dire qu’il était aimé dans tous. Quant aux trois êtres pour lesquels il éprouvait une affection sans bornes, c’étaient, avec sa mère, son cousin Ole et sa sœur Hulda.

Lorsque Ole Kamp avait quitté Dal pour s’embarquer une dernière fois, combien Joël regretta de ne pouvoir doter Hulda pour lui garder son fiancé ! En vérité, s’il eût été habitué à la mer, il n’aurait pas hésité à partir