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un billet de loterie.

tapisseries de linge, représentant des sujets de la Bible, enluminées de toutes les couleurs de l’imagerie d’Épinal ! Quant aux chambres des voyageurs, pour être plus simples, elles n’en sont pas moins confortables avec leurs quelques meubles d’une propreté engageante, leurs rideaux de fraîche verdure qui pendent de la crête du toit gazonné, leur large lit à draps blancs, en frais tissu d’« akloede », et leurs lambris qui portent des versets de l’Ancien Testament, écrits en jaune sur fond rouge.

Il ne faut point oublier que les planchers de la grande salle, comme ceux des chambres du rez-de-chaussée et du premier étage, sont semés de petites branches de bouleau, de sapin, de genévrier, dont les feuilles emplissent la maison de leur vivifiante odeur.

Pourrait-on imaginer une plus charmante posada en Italie, une plus alléchante fonda en Espagne ? Non ! Et le flot de touristes anglais n’en avait pas encore fait élever les prix, comme en Suisse – du moins à cette époque. À Dal, ce n’est pas la livre sterling, le pound d’or, dont la bourse du voyageur est bientôt veuve, c’est le species d’argent qui vaut un peu plus de cinq francs, ce sont ses subdivisions, le mark d’une valeur d’un franc, et le skilling de cuivre, qu’il faut bien se garder de confondre avec le shilling britannique, car il n’équivaut qu’à un sou de France. Ce n’est pas non plus la prétentieuse bank-note dont le touriste vient faire usage et abus au Telemark. C’est le billet d’un species qui est blanc, celui de cinq qui est bleu, celui de dix qui est jaune, celui de cinquante qui est vert, celui de cent qui est rouge. Deux de plus, et l’on ferait toutes les couleurs de l’arc-en-ciel !

Puis – ce qui n’est point à dédaigner dans cette hospitalière maison – la nourriture y est bonne, chose rare dans la plupart des auberges de la région. En effet, le Telemark ne justifie que trop son surnom de « Pays du lait caillé ». Au fond de ces trous de Tiness, de Listhüs, de Tinoset, de bien d’autres, jamais de pain, ou si mauvais qu’il vaut mieux s’en passer. Rien qu’une galette d’avoine, le « flatbröd », sec, noirâtre, dur comme du carton, ou tout simplement un gâteau grossier, fait avec la substance intermédiaire de l’écorce de bouleau, mélangée de lichens ou de hachures de paille. Rarement des œufs, à moins que les poules n’aient pondu huit jours avant. Mais, à profusion, de