Page:Verne - Un billet de loterie - suivi de Frritt-Flacc, 1886.djvu/155

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
149
le numéro 9672.


– C’est celui-là que nous prendrons, et, en contournant le lac Fol par le sud au lieu de le contourner par le nord, est-ce que nous n’atteindrons pas tout aussi bien Kongsberg ?

– Tout aussi bien, et même mieux ! répondit Joël en souriant.

– Merci pour mon frère, monsieur Sylvius ! dit la jeune fille.

– Et pour vous aussi, petite Hulda, car j’imagine que cela vous fera plaisir de revoir en passant votre amie Siegfrid ! »

L’embarcation était prête. Tous trois y prirent place sur un monceau de feuilles vertes, entassées à l’arrière. Les deux bateliers, ramant et gouvernant à la fois, poussèrent au large.

À mesure qu’on s’éloigne de la rive, le lac Tinn commence à s’arrondir depuis Haekenoës, petit gaard de deux ou trois maisons, bâti sur ce promontoire rocheux que baigne l’étroit fiord dans lequel se déversent paisiblement les eaux du Maan. Le lac est encore très encaissé ; mais, peu à peu, l’arrière-plan des montagnes recule, et l’on ne se rend compte de leur hauteur qu’au moment où une embarcation passe à leur base, sans paraître plus grosse qu’un oiseau aquatique.

De çà et de là émergent une douzaine d’îles ou d’îlots, arides ou verdoyants, avec quelques huttes de pêcheurs. À la surface du lac flottent des troncs d’arbres non équarris et des trains de poutres débités par les scieries du voisinage.

Ce qui fit dire en plaisantant à Sylvius Hog — et il fallait qu’il eût bien envie de plaisanter :

« Si, selon nos poètes scandinaves, les lacs sont les yeux de la Norvège, il faut convenir que la Norvège a plus d’une poutre dans l’œil, comme dit la Bible ! »

Vers quatre heures, l’embarcation arrivait à Tinoset, simple hameau des moins confortables. Peu importait, d’ailleurs. L’intention de Sylvius Hog n’était point de s’y arrêter, même une heure. Ainsi qu’il l’avait dit à Joël, un véhicule l’attendait sur la rive. En prévision de ce voyage, depuis longtemps décidé dans son esprit, il avait écrit à M. Benett, de Christiania, de lui assurer les moyens de voyager sans retards ni fatigues. C’est pourquoi, au jour dit, une vieille