Page:Verne - Robur le conquérant, Hetzel, 1904.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.

pénétrer sur le territoire des Mormons, les autres qui s’ouvrent plus au nord ou plus au sud.

Ce fut à travers un de ces cañons que l’Albatros s’engagea, après avoir modéré sa vitesse, afin de ne point se heurter contre les parois du col. Le timonier, avec une sûreté de main que rendait plus efficace encore l’extrême sensibilité du gouvernail, le manœuvra comme il eût fait d’une embarcation de premier ordre dans un match du Royal Thames Club. Ce fut vraiment extraordinaire. Et, quelque dépit qu’en ressentissent les deux ennemis du « Plus lourd que l’air », ils ne purent qu’être émerveillés de la perfection d’un tel engin de locomotion aérienne.

En moins de deux heures et demie, la grande chaîne fut traversée, et l’Albatros reprit sa première vitesse à raison de cent kilomètres. Il repiquait alors vers le sud-ouest, de manière à couper obliquement le territoire de l’Utah en se rapprochant du sol. Il était même descendu à quelques centaines de mètres, lorsque des coups de sifflet attirèrent l’attention d’Uncle Prudent et de Phil Evans.

C’était un train du Pacific-Railway qui se dirigeait vers la ville du Grand-Lac-Salé.

En ce moment, obéissant à un ordre secrètement donné, l’Albatros s’abaissa encore, de manière à suivre le convoi lancé à toute vapeur. Il fut aussitôt aperçu. Quelques têtes se montrèrent aux portières des wagons. Puis, de nombreux voyageurs encombrèrent ces passerelles qui raccordent les « cars » américains. Quelques-uns même n’hésitèrent pas à grimper sur les impériales, afin de mieux voir cette machine volante. Hips et hurrahs coururent à travers l’espace ; mais ils n’eurent pas pour résultat de faire apparaître Robur.

L’Albatros descendit encore, en modérant le jeu de ses hélices suspensives, et ralentit sa marche pour ne pas laisser en arrière le convoi qu’il eût pu si facilement distancer. Il voletait au-dessus comme un énorme scarabée, lui qui aurait pu être un gigantesque oiseau de proie. Il faisait des embardées à droite et à gauche, il s’élançait en avant, il revenait sur lui-même, et, fièrement, il avait arboré son pavillon noir à soleil d’or, auquel le chef du train