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de truites, le seul poisson que les eaux du lac Yellowstone nourrissent par myriades. Mais l’Albatros se tint toujours à une telle hauteur que l’occasion ne se présenta pas d’entreprendre une pêche, qui, très certainement, aurait été miraculeuse.

Au surplus, en trois quarts d’heure, le lac fut franchi, et, un peu plus loin, la région de ces geysers qui rivalisent avec les plus beaux de l’Islande. Penchés au-dessus de la plate-forme, Uncle Prudent et Phil Evans observaient les colonnes liquides qui s’élançaient comme pour fournir à l’aéronef un élément nouveau. C’étaient « l’Éventail » dont les jets se disposent en lamelles rayonnantes, le « Château fort », qui semble se défendre à coups de trombes, le « Vieux fidèle » avec sa projection couronnée d’arcs-en-ciel, le « Géant », dont la poussée interne vomit un torrent vertical d’une circonférence de vingt pieds, à plus de deux cents pieds d’altitude.

Ce spectacle incomparable, on peut dire unique au monde, Robur en connaissait sans doute toutes les merveilles, car il ne parut pas sur la plate-forme. Était-ce donc pour le seul plaisir de ses hôtes qu’il avait lancé l’aéronef au-dessus de ce domaine national ? Quoi qu’il en soit, il s’abstint de venir chercher leurs remerciements. Il ne se dérangea même pas pendant l’audacieuse traversée des Montagnes-Rocheuses, que l’Albatros aborda vers sept heures du matin.

On sait que cette disposition orographique s’étend, comme une énorme épine dorsale, depuis les reins jusqu’au cou de l’Amérique septentrionale, en prolongeant les Andes mexicaines. C’est un développement de trois mille cinq cents kilomètres que domine le pic James, dont la cime atteint presque douze mille pieds.

Certainement, en multipliant ses coups d’ailes, comme un oiseau de haut vol, l’Albatros aurait pu franchir les cimes les plus élevées de cette chaîne pour aller retomber d’un bond dans l’Oregon ou dans l’Utah. Mais la manœuvre ne fut pas même nécessaire. Des passes existent qui permettent de traverser cette barrière sans en gravir la crête. Il y a plusieurs de ces « cañons », sortes de cols, plus ou moins étroits, à travers lesquels on peut se glisser, ― les uns tels que la passe Bridger que prend le railway du Pacifique pour