Page:Verne - Robur le conquérant, Hetzel, 1904.djvu/73

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Comme Uncle Prudent et Phil Evans sentaient la faim les aiguillonner vivement, ce n’était pas le cas de faire des cérémonies. Un repas n’engage à rien, et, lorsque Robur les aurait remis à terre, ils comptaient bien reprendre vis-à-vis de lui leur entière liberté d’action.

Tous deux furent alors conduits vers le roufle de l’arrière, dans un petit « dining-room. » Là se trouvait une table proprement servie, à laquelle ils devaient manger à part pendant le voyage. Pour plats, différentes conserves, et, entre autres, une sorte de pain, composé en parties égales de farine et de viande réduite en poudre, relevée d’un peu de lard, lequel, bouilli dans l’eau, donne un potage excellent ; puis, des tranches de jambon frit, et du thé pour boisson.

De son côté, Frycollin n’avait pas été oublié. À l’avant, il avait trouvé une forte soupe de ce pain. En vérité, il fallait qu’il eût belle faim pour manger, car ses mâchoires tremblaient de peur et auraient pu lui refuser tout service.

« Si ça cassait !… Si ça cassait ! » répétait le malheureux nègre.

De là, des transes continuelles. Qu’on y songe ! Une chute de quinze cents mètres qui l’aurait réduit à l’état de pâtée !

Une heure après, Uncle Prudent et Phil Evans reparurent sur la plate-forme. Robur n’y était plus. À l’arrière, l’homme de barre, dans sa cage vitrée, l’œil fixé sur la boussole, suivait imperturbablement, sans une hésitation, la route donnée par l’ingénieur.

Quant au reste du personnel, le déjeuner le retenait probablement dans son poste. Seul, un aide-mécanicien, préposé à la surveillance des machines, se promenait d’un roufle à l’autre.

Cependant, si la vitesse de l’appareil était grande, les deux collègues n’en pouvaient juger qu’imparfaitement, bien que l’Albatros fût alors sorti de la zone des nuages et que le sol se montrât à quinze cents mètres au-dessous.

« C’est à n’y pas croire ! dit Phil Evans.

― N’y croyons pas, » répondit Uncle Prudent.

Ils allèrent alors se placer à l’avant et portèrent leurs regards vers l’horizon de l’ouest.