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fuge aux deux bouts de la plate-forme, durent se retenir aux montants pour ne point être emportés.

« Du sang-froid ! » cria Robur.

Il en fallait, ― de la patience aussi.

Uncle Prudent et Phil Evans, qui venaient de quitter leur cabine, furent repoussés à l’arrière, au risque d’être lancés par-dessus le bord.

En même temps qu’il tournait, l’Albatros suivait le déplacement de ces trombes qui pivotaient avec une vitesse dont ses hélices auraient pu être jalouses. Puis, s’il échappait à l’une, il était repris par une autre, avec menace d’être disloqué ou mis en pièces.

« Un coup de canon !… » cria l’ingénieur.

Cet ordre s’adressait à Tom Turner. Le contremaître s’était accroché à la petite pièce d’artillerie, montée au milieu de la plate-forme, où les effets de la force centrifuge étaient peu sensibles. Il comprit la pensée de Robur. En un instant, il eut ouvert la culasse du canon dans laquelle il glissa une gargousse qu’il tira du caisson fixé à l’affût. Le coup partit, et soudain se fit l’effondrement des trombes, avec le plafond de nuages qu’elles semblaient porter sur leur faîte.

L’ébranlement de l’air avait suffi à rompre le météore, et l’énorme nuée, se résolvant en pluie, raya l’horizon de stries verticales, immense filet liquide tendu de la mer au ciel.

L’Albatros, libre enfin, se hâta de remonter de quelques centaines de mètres.

« Rien de brisé à bord ? demanda l’ingénieur.

― Non, répondit Tom Turner ; mais voilà un jeu de toupie hollandaise et de raquette qu’il ne faudrait pas recommencer ! »

En effet, pendant une dizaine de minutes, l’Albatros avait été en perdition. N’eût été sa solidité extraordinaire, il aurait péri dans ce tourbillon des trombes.

Pendant cette traversée de l’Atlantique, combien les heures étaient longues, quand aucun phénomène n’en venait rompre la monotonie ! D’ailleurs, les jours diminuaient sans cesse, et le froid devenait vif. Uncle Prudent et Phil Evans voyaient peu Robur. Enfermé dans sa cabine, l’ingénieur s’occupait