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L’Étoile du Désert, ― sans doute quelque poète russe l’a appelée ainsi, ― est maintenant descendue de la première à la cinquième ou sixième grandeur. Ce simple chef-lieu de gouvernement avait un instant montré ses vieilles murailles couronnées de créneaux inutiles, ses antiques tours au centre de la cité, ses mosquées contiguës à des églises de style moderne, sa cathédrale dont les cinq dômes, dorés et semés d’étoiles bleues, semblaient découpés dans un morceau de firmament, ― le tout presque au niveau de cette embouchure du Volga qui mesure deux kilomètres.

Puis, à partir de ce point, le vol de l’Albatros ne fut plus qu’une sorte de chevauchée à travers les hauteurs du ciel, comme s’il eût été attelé de ces fabuleux hippogriffes qui franchissent une lieue d’un seul coup d’aile.

Il était dix heures du matin, le 4 juillet, lorsque l’aéronef pointa dans le nord-ouest en suivant à peu près la vallée du Volga. Les steppes du Don et de l’Oural filaient de chaque côté du fleuve. S’il eût été possible de plonger un regard sur ces vastes territoires, à peine aurait-on eu le temps d’en compter les villes et villages. Enfin, le soir venu, l’aéronef dépassait Moscou, sans même saluer le drapeau du Kremlin. En dix heures, il avait enlevé les deux mille kilomètres qui séparent Astrakan de l’ancienne capitale de toutes les Russies.

De Moscou à Pétersbourg, la ligue du chemin de fer ne compte pas plus de douze cents kilomètres. C’était donc l’affaire d’une demi-journée. Aussi, l’Albatros, exact comme un express, atteignit-il Pétersbourg et les bords de la Neva vers deux heures du matin. La clarté de la nuit, sous cette haute latitude qu’abandonne si peu le soleil de juin, permit d’embrasser un instant l’ensemble de cette vaste capitale.

Puis, ce furent le golfe de Finlande, l’archipel d’Abo, la Baltique, la Suède à la latitude de Stockholm, la Norvège à la latitude de Christiania. Dix heures seulement pour ces deux mille kilomètres ! En vérité, on aurait pu le croire, aucune puissance humaine n’eût été capable désormais d’enrayer la vitesse de l’Albatros, comme si la résultante de sa force de projection et de l’attraction terrestre l’eût maintenu dans une trajectoire immuable autour du globe.