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p’tit-bonhomme.

gros, les yeux humides, pendant qu’on lui enlevait ses beaux habits, se laissa mettre les haillons de Sib.

C’est alors que la pensée vint à miss Anna Waston de lui donner une belle guinée toute neuve. Ce serait son cachet d’artiste en représentation, « ses feux ! » répéta-t-elle. Et, ma foi, l’enfant, vite consolé, prit la pièce d’or avec une évidente satisfaction et la fourra dans sa poche, après l’avoir bien regardée.

Cela fait, miss Anna Waston lui donna une dernière caresse, et descendit sur la scène, en recommandant à Élisa de le garder dans la loge, puisqu’il ne paraissait qu’au troisième acte.

Ce soir-là, le beau monde et le populaire remplissaient le théâtre depuis les derniers rangs de l’orchestre jusqu’aux cintres, bien que cette pièce n’eût plus l’attrait de la nouveauté. Elle avait déjà vu le feu de la rampe pendant douze à treize cents représentations sur les divers théâtres du Royaume-Uni — ainsi que cela arrive souvent pour des œuvres du cru, même quand elles sont médiocres.

Le premier acte marcha d’une façon convenable. Miss Anna Waston fut chaleureusement applaudie, et elle le méritait par la passion de son jeu, par l’éclat de son talent, dont les spectateurs subissaient la très visible impression.

Après le premier acte, la duchesse de Kendalle remonta dans sa loge, et, à la grande surprise de Sib, voici qu’elle enlève ses ajustements de soie et de velours pour revêtir le costume de simple servante — changement nécessité par des combinaisons de dramaturge aussi compliquées que peu nouvelles, et sur lesquelles il est inutile d’insister.

P’tit-Bonhomme contemplait cette femme de velours qui devenait une femme de bure, et il se sentait de plus en plus inquiet, abasourdi, comme si quelque fée venait d’opérer devant lui cette fantastique transformation.

Puis la voix de l’avertisseur parvint jusqu’à la loge — une grosse voix de stentor qui le fit tressaillir, et la « servante » lui fit un signe de la main, en disant :