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p’tit-bonhomme.

VII

situation compromise.


Six semaines s’écoulèrent dans ces conditions, et on ne saurait être étonné que P’tit-Bonhomme eût pris l’habitude de cette vie agréable. Puisqu’on se plie à la misère, il ne doit pas être très difficile de s’accoutumer à l’aisance. Miss Anna Waston, toute de premier élan, ne se blaserait-elle pas bientôt par l’exagération et l’abus de ses tendresses ? Il en est des sentiments comme des corps : ils sont soumis à la loi de l’inertie. Que l’on cesse d’entretenir la force acquise, et le mouvement finit par s’arrêter. Or, si le cœur a un ressort, miss Anna Waston n’oublierait-elle pas un jour de le remonter, elle qui oubliait neuf fois sur dix de remonter sa montre ? Pour employer une locution de son monde, elle avait éprouvé « une toquade » des plus vives à l’exemple de la plupart des toquées de théâtre. L’enfant n’avait-il été pour elle qu’un passe-temps… un joujou… une réclame ?… Non, car elle était réellement bonne fille. Cependant, si ses soins ne devaient pas manquer, ses caresses étaient déjà moins continues, ses attentions moins fréquentes. D’ailleurs, une comédienne est tellement occupée, absorbée par les choses de son art — rôles à apprendre, répétitions à suivre, représentations qui ne laissent pas une soirée libre… Et les fatigues du métier !… Dans les premiers jours, on lui apportait le chérubin sur son lit. Elle jouait avec lui, elle faisait la « petite mère ». Puis, cela interrompant son sommeil qu’elle avait l’habitude de prolonger fort tard, elle ne le demandait plus qu’au déjeuner. Ah ! quelle joie de le