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encore la ragged-school.

À leur santé ! »

Grip, ne pouvant enfoncer la porte, se résigna suivant son habitude, s’efforçant de calmer son compagnon très en colère.

« Bon ! dit-il, laissons-les, ces bêtes !

— Oh ! n’être pas le plus fort !

— À quoi qu’ça servirait !… Tiens, P’tit, v’là des pommes de terre que je t’ai gardées… Mange…

— Je n’ai pas faim, Grip !

— Mange tout d’même, et puis on s’fourr’ra sous la paille pour dormir. »

C’était ce qu’il y aurait de mieux à faire, après un souper, hélas ! si maigre.

Si Carker avait fermé la porte du galetas, c’est qu’il ne tenait pas à être dérangé ce soir-là. Grip sous les verrous, on serait à son aise pour fêter la bouteille de gin, et Kriss ne s’y opposerait pas, pourvu qu’on lui réservât sa part.

Et alors la liqueur circula dans les tasses. Quels cris, quels hurlements ! Il ne leur en fallait pas beaucoup, à ces vauriens, pour les griser, sauf Carker peut-être, qui avait déjà l’habitude des boissons alcooliques.

C’est ce qui ne tarda pas d’arriver. La bouteille n’était pas à demi vide, quoique Kriss y eût puisé à même, que l’ignoble bande était plongée dans l’ivresse. Et ce tumulte, ce vacarme, ne suffirent pas à tirer M. O’Bodkins de son indifférence accoutumée. Que lui importait ce qui se passait en bas, lorsqu’il était en haut devant ses cartons et ses livres ?… La trompette du jugement dernier n’aurait pu l’en distraire.

Et pourtant, il allait bientôt être brusquement arraché de son bureau — non sans grand dommage pour sa chère comptabilité.

Après avoir absorbé un gallon et demi de gin, des trois que contenait la bouteille, la plupart des garnements étaient tombés sur leur paille, pour ne pas dire leur fumier. Et là, ils se fussent endormis, s’il ne fût venu à Carker l’idée de faire un brûlot.