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encore la ragged-school.

letas sans être vu des vauriens, car ils ne s’inquiéteraient guère de la rendre à qui elle appartenait. Deux ou trois gallons de gin !… Quelle aubaine !… La nuit venue, il n’en resterait pas une goutte… Pour ce qui concerne Grip, P’tit-Bonhomme en répondait comme de lui. Il ne toucherait pas à la bouteille, il la cacherait sous la paille, et, le lendemain, il prendrait des informations dans le quartier. S’il le fallait, tous deux iraient de maison en maison, ils frapperaient aux portes : ce ne serait pas pour mendier, cette fois.

P’tit-Bonhomme se dirigea alors vers l’école, en essayant, non sans peine, de cacher la bouteille qui faisait une grosse bosse sous ses haillons.

Par malchance, lorsqu’il fut arrivé devant la porte, voici que Carker sortit brusquement, et il ne put éviter le choc. D’ailleurs Carker l’ayant reconnu et le voyant seul, trouva l’occasion bonne pour lui payer l’arriéré qu’il lui devait depuis l’intervention de Grip sur la grève de Salthill.

Il se jeta donc sur P’tit-Bonhomme, et, ayant senti la bouteille sous ses loques, il la lui arracha.

« Eh ! qu’est-ce que ça ? s’écria-t-il.

— Ça !… ce n’est pas à toi !

— Alors… c’est à toi ?

— Non… ce n’est pas à moi ! »

Et P’tit-Bonhomme voulut repousser Carker, lequel, d’un coup de pied, l’envoya rouler à trois pas.

S’emparer de la bouteille, puis rentrer dans la salle, c’est ce que Carker eut fait en un instant, et P’tit-Bonhomme ne put que le suivre en pleurant de rage.

Il essaya encore de protester ; mais Grip n’étant pas là pour lui venir en aide, ce qu’il reçut de taloches, de coups de pieds, de coups de dents même !… Jusqu’à la vieille Kriss qui s’en mêla, dès qu’elle eut aperçu la bouteille.

« Du gin, s’écria-t-elle, du bon gin, et il y en aura pour tout le monde ! »