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p’tit-bonhomme.

Kriss de découdre et de recoudre, autant lui demander de renoncer à sa pipe. Aussi, s’enfermant dans le galetas, Grip se mit-il à l’œuvre en y concentrant toute son intelligence. Après avoir pris mesure sur l’enfant, il travailla si adroitement qu’il parvint à confectionner une bonne veste de laine. Quant à lui, il se trouva pourvu d’un gilet — sans manches, il est vrai — mais enfin un gilet, c’est déjà quelque chose.

Il va de soi que recommandation fut faite à P’tit-Bonhomme de cacher sa veste sous ses loques, afin que les autres ne pussent la voir. Plutôt que de la lui laisser, ils l’auraient mise en morceaux. C’est ce qu’il fit, et s’il apprécia l’excellente chaleur de ce tricot pendant les grands froids de l’hiver, nous le laissons à penser.

À la suite d’un mois d’octobre excessivement pluvieux, novembre déchaîna sur le comté une bise glaciale qui condensa en neige toute l’humidité de l’atmosphère. La couche blanche dépassa l’épaisseur de deux pieds dans les rues de Galway. La récolte quotidienne de houille et de tourbe s’en ressentit. On gelait rudement dans la ragged-school, et si le foyer manquait de combustible, l’estomac, qui est un foyer, en manquait également, car on n’y faisait pas de feu tous les jours.

Il fallait bien, néanmoins, au milieu de ces tempêtes de neige, à travers les courants glacés, le long des rues, sur les routes, que les déguenillés cherchassent à pourvoir aux besoins de l’école. Maintenant, on ne trouvait plus rien à ramasser entre les pavés. L’unique ressource, c’était d’aller de porte en porte. Certes, la paroisse faisait ce qu’elle pouvait pour ses pauvres ; mais, sans parler de la ragged-school, nombre d’établissements de charité se réclamaient d’elle en ce temps de misère.

Les enfants étaient dès lors réduits à quêter d’une maison à l’autre, et quand toute pitié n’y était pas éteinte, on ne leur faisait pas mauvais accueil. Le plus souvent, il est vrai, avec quelle brutalité on les recevait, avec quelles menaces en cas qu’ils s’aviseraient de revenir, et ils rentraient alors les mains vides…