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p’tit-bonhomme.

Son sommeil dura une grande partie de la nuit. Le jour commençait à poindre, lorsqu’il fut réveillé par des vociférations proférées au dehors. Il se redressa, il écouta… La Doris était-elle donc près de la côte ?… Un navire l’avait-il rencontrée au lever du soleil ?

« À nous… les premiers ! criaient des voix d’hommes.

— Non… à nous ! » répondirent d’autres voix.

P’tit-Bonhomme ne tarda pas à comprendre ce qui se passait. Nul doute que la Doris eût été aperçue dès l’aube naissante. Des équipages s’étaient hâtés de l’accoster, et, maintenant, ils se disputaient à qui elle appartiendrait… Les voici qui se sont hissés sur la coque, ils ont envahi le pont, ils en viennent aux mains… Des coups s’échangent entre les sauveteurs.

P’tit-Bonhomme n’aurait eu qu’à se montrer pour mettre les deux partis d’accord. Il s’en garda expressément. Ces hommes se fussent tournés contre lui. Ils n’auraient pas hésité à le jeter par-dessus le bord, afin d’éviter toute réclamation ultérieure. Sans perdre un instant, il fallait se cacher. Aussi, alla-t-il se blottir à fond de cale, au milieu des marchandises.

Quelques minutes plus tard, le tumulte avait cessé — preuve que la paix venait d’être faite. On s’était entendu pour partager le produit de la cargaison, après avoir conduit au port le navire abandonné.

Les choses, en effet, s’étaient passées de la sorte. Deux chaloupes de pêche, sorties au petit jour de la baie de Dublin, avaient aperçu le schooner dérivant à trois ou quatre milles au large. Les équipages s’étaient aussitôt dirigés vers cette coque à demi chavirée, luttant de vitesse pour l’atteindre, car la coutume, ayant force de loi, est que l’épave appartient à celui qui met le premier la main sur elle. Or, les embarcations étaient arrivées en même temps. De là, querelles, menaces, coups, et, finalement, accord sur le partage du butin. Eh ! ils auraient fait là « une belle marée », ces redoutables pêcheurs du littoral !

À peine P’tit-Bonhomme s’était-il réfugié dans la cale, que les patrons des deux chaloupes s’affalèrent par l’échelle de capot, afin de