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p’tit-bonhomme.

comme des mendiants, car les chiens peuvent à la rigueur recevoir quelque caresse…

Et lorsqu’ils s’arrêtaient devant les magasins, si insuffisamment approvisionnés pourtant, des bourgades de la haute Irlande, les choses leur paraissaient un entassement de richesses incalculables. Quel regard ils jetaient, ici, sur un étalage de vêtements, eux qui n’étaient vêtus que de loques ; là, sur une boutique de chaussures, eux qui marchaient pieds nus ! Et connaîtraient-ils jamais cette jouissance d’avoir un habit neuf à leur taille, et une paire de bons souliers dont on leur aurait pris mesure ? Non, sans doute, pas plus que tant de malheureux condamnés au rebut des autres, restes de défroque et restes de cuisine !

Il y avait aussi des étals de bouchers, avec de grands quartiers de bœuf pendus au croc, qui auraient suffi à nourrir pendant un mois toute la ragged-school. Lorsque Grip et P’tit-Bonhomme les contemplaient, ils ouvraient la bouche démesurément et sentaient leur estomac se contracter de spasmes douloureux.

« Bah ! disait Grip d’un ton jovial, fais aller tes mâchoires, p’tit !… Ça s’ra comme si tu mangeais pour de bon ! »

Et devant les gros pains dont la chaude odeur s’échappait du fournil, devant les « cakes » et autres pâtisseries qui excitaient la convoitise du passant, ils restaient là, les dents longues, la langue humide, les lèvres convulsées, la figure famélique, et P’tit-Bonhomme murmurait :

« Que ça doit être bon !

— J’t’en réponds ! répliquait Grip.

— En as-tu mangé ?…

— Un’fois.

— Ah ! » soupirait P’tit-Bonhomme.

Il n’en avait jamais mangé, lui, ni chez Thornpipe, ni depuis que la ragged-school lui donnait asile.

Un jour, une dame, prenant pitié de sa mine pâle, lui demanda si un gâteau lui ferait plaisir.