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p’tit-bonhomme.

— Il ne s’agit pas de nous, Grip, mais de toi qui auras bientôt vingt-cinq ans !

— Réfléchis donc un tantinet, mon boy ! M’marier, moi… un chauffeur… un homme qui est noir comme un nègre d’l’Afrique pendant les deux tiers de son existence !

— Ah bon ! Grip qui a peur que ses enfants soient des négrillons ? s’écria Bob.

— Ce s’rait bien possible ! répondit Grip. Je n’suis prop’ qu’à épouser un’ négresse, ou tout au plus un’ Peau-Rouge… là-bas… dans l’fin fond des États-Unis !

— Grip, reprit P’tit-Bonhomme, tu as tort de plaisanter… C’est dans ton intérêt que nous causons… Vienne l’âge, tu te repentiras de ne pas m’avoir écouté…

— Qué qu’tu veux, mon boy… je l’sais… t’es raisonnable… et ce s’rait un grand bonheur de vivre ensemble… Mais mon métier m’a nourri… il m’nourrira encore, et je n’puis m’faire à l’idée d’l’abandonner !

— Enfin… quand tu voudras, Grip… Ici, il y aura toujours une place pour toi. Et je serais bien étonné, si, un jour, tu n’étais pas installé devant un confortable bureau… une calotte sur la tête, la plume à l’oreille… avec un intérêt dans la maison…

— Il faudra donc que j’sois bien changé…

— Eh ! tu changeras, Grip !… Tout le monde change… et il est sage de changer… quand c’est pour être mieux… »

Toutefois, en dépit des instances, Grip ne se rendit pas. La vérité est qu’il aimait son métier, que les armateurs du Vulcan lui témoignaient de la sympathie, qu’il était apprécié de son capitaine, aimé de ses camarades. Aussi, désireux de ne pas trop chagriner P’tit-Bonhomme, il lui dit :

« Au retour… au retour… nous verrons !… »

Puis, lorsqu’il revenait, il ne disait rien que ce qu’il avait dit au départ :

« Nous verrons… nous verrons !… »