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comme on se retrouve.

— Il y a moins de hasards dans la vie que tu ne penses, et tout s’enchaîne avec une logique plus serrée qu’on ne l’imagine en général. Tu l’observeras, il est rare qu’un malheur ne soit pas doublé d’un bonheur…

— Vous le croyez, monsieur O’Brien ?…

— Oui, et d’autant plus que cela n’est pas douteux en ce qui te concerne, mon garçon. C’est une réflexion que je fais souvent, lorsque je songe à ce qu’a été ton existence. Ainsi, tu es entré chez la Hard, c’était un malheur…

— Et c’est un bonheur que j’y aie connu Sissy, dont je n’ai jamais oublié les caresses, les premières que j’aie reçues ! Qu’est-elle devenue, ma pauvre petite compagne, et la reverrai-je jamais ?… Oui ! ce fut là du bonheur…

— Et c’en est un aussi que la Hard ait été une abominable mégère, sans quoi tu serais resté au hameau de Rindok jusqu’au moment où l’on t’aurait remis dans la maison de charité de Donegal. Alors tu t’es enfui… et ta fuite t’a fait tomber entre les mains de ce montreur de marionnettes !…

— Oh ! le monstre ! s’écria P’tit-Bonhomme.

— Et cela est heureux qu’il l’ait été, car tu serais encore à courir les grandes routes, sinon dans une cage tournante, du moins au service de ce brutal Thornpipe. De là, tu entres à la ragged-school de Galway…

— Où j’ai rencontré Grip… Grip, qui a été si bon pour moi, auquel je dois la vie, qui m’a sauvé en s’exposant à la mort…

— Ce qui t’a conduit chez cette extravagante comédienne… Une tout autre existence, j’en conviens, mais qui ne t’aurait mené à rien d’honorable, et je considère comme un bonheur, qu’après s’être amusée de toi, elle t’ait un beau jour abandonné…

— Je ne lui en veux pas, monsieur O’Brien. Somme toute, elle m’avait recueilli, elle a été bonne pour moi… et depuis… j’ai compris bien des choses ! D’ailleurs, en suivant votre raisonnement, c’est grâce à cet abandon que la famille Mac Carthy m’a recueilli à la ferme de Kerwan…