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premier chauffeur.

vait laisser ces misérables à la merci des rues. Mais, au souvenir des quelques années passées dans cet abominable milieu, Grip ne se sentait aucun désir de le réintégrer. Vivre entre M. O’Bodkins et la vieille Kriss, surveiller de mauvais garnements tels que Carker et ses camarades, cela n’avait rien d’enviable. Et d’ailleurs, P’tit-Bonhomme n’était plus là. Grip savait qu’il avait été emmené par une belle dame. Où ?… Il l’ignorait, et, lorsqu’il fut hors de l’hôpital, les recherches faites à ce sujet demeurèrent sans résultat.

Voilà donc que Grip abandonne Galway. Il court les campagnes du district. Entre temps, il trouve un peu de travail dans les fermes à l’époque de la moisson. Pas de position fixe, et c’est ce qui l’inquiète. Il va devant lui de bourgade en bourgade, pouvant à peine se suffire, moins malheureux cependant qu’il avait été du temps de la ragged-school.

Un an plus tard, Grip était arrivé à Dublin. Il eut alors l’idée de naviguer. Être marin, ce métier lui semblait plus sûr, plus « nourrissant » que n’importe quel autre. Mais, à dix-huit ans, il est trop tard pour être mousse et même pour être novice. Eh bien ! puisqu’il n’était plus d’âge à embarquer comme matelot, puisqu’il ne connaissait rien de cet état, il embarquerait comme soutier, et c’est ce qu’il avait fait à bord du Vulcan. Loger au fond des soutes, au milieu d’une atmosphère de poussière noire, respirer un air étouffant, ce n’est peut-être pas l’idéal du bien-être ici-bas. Bon ! Grip était courageux, laborieux, résolu, et c’était la vie assurée. Sobre, zélé, il s’accoutuma vite à la discipline du bord. Jamais il n’encourut aucun reproche. Il conquit l’estime du capitaine et de ses officiers, qui s’intéressèrent à ce pauvre diable sans famille.

Le Vulcan naviguait de Dublin à New-York ou autres ports du littoral est de l’Amérique. Pendant deux ans, Grip traversa nombre de fois l’Océan, étant chargé de l’arrimage des soutes et du service du combustible. Puis l’ambition lui vint. Il demanda à être employé comme chauffeur sous les ordres des mécaniciens. On le prit à l’essai, et il ne tarda pas à satisfaire ses chefs. Aussi, son appren-