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sept mois à cork.

de glace dans la main qui le serre. En attendant, le mieux était de dormir sur le grabat de l’auberge, et c’est ce qui eut lieu.

Il n’y a pas à reprendre par le détail ce que fut l’existence de P’tit-Bonhomme, doublé de son ami Bob, pendant les six mois qui suivirent son arrivée à Cork. L’hiver, long et rude, eût peut-être été funeste à des enfants inhabitués à souffrir de la faim et du froid. La nécessité fit un homme de ce garçonnet de onze ans. Jadis, chez la Hard, s’il avait vécu de rien, actuellement, s’il vivait de peu — vivere parvo, il parvint à vivre, et Bob avec lui. Plus d’une fois, le soir venu, ils n’eurent à partager qu’un œuf, où, l’un après l’autre trempait sa mouillette. Et, cependant, ils ne demandèrent jamais l’aumône. Bob avait compris qu’il y avait honte à mendier. Ils étaient à l’affût de commissions à faire, de voitures à chercher aux stations, des bagages, un peu lourds parfois, que les voyageurs leur donnaient à porter au sortir de la gare, etc.

P’tit-Bonhomme entendait ménager le plus possible ce qui lui restait de ses gages de Trelingar Castle. Or, dès les premiers jours de son arrivée à Cork, il avait dû en sacrifier une partie. N’avait-il pas fallu acheter des vêtements et des souliers à Bob, et quelle joie celui-ci éprouva à revêtir un « complet » de treize shillings, tout neuf ! Il ne pouvait décemment aller en haillons, nu-tête et nu-pieds, lorsque son grand frère était assez proprement vêtu. Cette dépense une fois faite, ou s’ingénierait à ne plus vivre que des quelques pence gagnés quotidiennement. Et l’estomac vide, comme ils enviaient Birk, qui du moins, finissait par découvrir sa nourriture à droite et à gauche.

« J’aurais voulu être chien !… disait Bob.

— Tu n’es pas dégoûté ! » répondait P’tit-Bonhomme.

Quant au loyer du galetas de l’auberge, jamais on ne fut en retard. Aussi, le propriétaire, qui s’intéressait à ces deux enfants, les gratifiait-il de loin en loin d’une bonne soupe chaude… Décidément, il leur était bien permis de l’accepter sans rougir.

Si P’tit-Bonhomme tenait tant à conserver les deux livres qui lui restaient en poche après les premiers achats, c’est qu’il attendait tou-