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dix-huit ans à deux.

— Où demeures-tu ?…

— Je ne sais pas… Nulle part…

— Comment es-tu tombé dans la rivière ?… En voulant boire, sans doute ?…

— Non.

— Tu auras glissé ?

— Non… je suis tombé… exprès !

— Exprès ?…

— Oui… oui… Maintenant je ne veux plus… si tu restes avec moi…

— Je resterai… je resterai ! »

Et P’tit-Bonhomme eut des larmes plein les yeux. À sept ans, cette affreuse idée de mourir !… Le désespoir menant ce boy à la mort, le désespoir qui vient du dénuement, de l’abandon, de la faim !…

L’enfant avait refermé ses paupières. P’tit-Bonhomme se dit qu’il ne devait pas le presser de questions… Ce serait pour plus tard… Son histoire, il la connaissait d’ailleurs… C’était celle de tous ces pauvres êtres… c’était la sienne… À lui, du moins, doué d’une énergie peu commune, la pensée n’était jamais venue d’en finir ainsi avec ses misères !…

Il convenait d’aviser cependant. L’enfant n’était pas en état de faire quelques milles pour atteindre Woodside. P’tit-Bonhomme n’aurait pu le porter jusque-là. En outre, la nuit s’approchait, et l’essentiel était de trouver un abri. Aux environs, on ne voyait ni une auberge ni une ferme. D’un côté de la route, la Dripsey, longue, sans un bateau, sans une barque. De l’autre, des bois qui s’étendaient à perte de vue sur la gauche. C’était donc en cet endroit qu’il fallait passer la nuit au pied d’un arbre, sur une litière d’herbes, près d’un feu de bois mort, si cela était nécessaire. Le soleil levé, lorsque les forces seraient revenues à l’enfant, tous deux ne seraient pas gênés de gagner Woodside et peut-être Cork. On avait suffisamment de quoi souper ce soir-là, tout en gardant quelques morceaux pour le déjeuner du lendemain.