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marionnettes royales.

ronné et abaissant son sceptre à la façon du bâton d’un chef de musique qui bat une mesure à deux temps. Quant aux membres de la famille royale, ils se tournent et se retournent tout d’une pièce, rendant salut pour salut, tandis que ducs, marquis, baronnets, défilent avec grandes démonstrations de respect. De son côté, le premier ministre s’incline devant M. Gladstone, qui s’incline à son tour. Après eux, O’Connell s’avance gravement sur sa rainure invisible, suivi du duc de Cambridge, lequel semble exécuter un pas de caractère. Les autres personnages déambulent ensuite, et les chevaux des horse-guards, comme s’ils étaient non dans un salon mais au milieu de la cour du château d’Osborne, piaffent en secouant leur queue.

Et tout ce manège s’accomplit au son d’une musique aigre et susurrante, grâce à une serinette à laquelle manquaient nombre de dièzes et de bémols. Mais comment Paddy — si sensible à l’art musical que Henri VIII a mis une harpe dans les armes de la Verte Érin — n’aurait-il pas été charmé, bien qu’il eût préféré au God save the Queen et au Rule Britannia, hymnes mélancoliques qui sont les dignes chants nationaux du triste Royaume-Uni, quelque refrain de sa chère Irlande ?

De vrai, c’était très beau, et pour qui n’avait jamais vu les mises en scène des grands théâtres de l’Europe, il y avait là de quoi provoquer plus que de l’admiration. Et ce fut un indescriptible enthousiasme à la vue de ces marionnettes mouvantes, que l’on appelle en termes du métier des « danso-musicomanes ».

Mais, à un certain moment, voici que par suite d’un à-coup du mécanisme, la Reine abaisse si vivement son sceptre qu’elle atteint le dos rond du premier ministre. Alors les hurrahs du public de redoubler.

« Ils sont vivants ! dit un des spectateurs.

— Il ne leur manque que la parole ! répondit un autre.

— Ne le regrettons pas ! » ajouta le pharmacien, qui était démocrate à ses moments perdus.

Et il avait raison. Voyez-vous ces marionnettes faisant des discours officiels !