Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/23

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
16
p’tit-bonhomme.

nous échappe, tous constellés de crachats et enrubannés de cordons, des célébrités politiques et guerrières, entre autres Sa Grâce le duc de Cambridge auprès de feu lord Wellington, et feu lord Palmerston auprès de feu M. Pitt ; enfin des membres de la Chambre haute, fraternisant avec des membres de la Chambre basse ; derrière eux, une rangée de horse-guards, en tenue de parade, à cheval au milieu de ce salon, — ce qui indique bien qu’il s’agit d’une fête comme il est rare d’en voir au château d’Osborne. Cet ensemble comprend environ une cinquantaine de petits bonshommes, violemment peinturlurés, qui représentent avec aplomb et raideur tout ce qu’il y a de plus aristocratique, de plus distingué, de plus officiel, dans le monde militaire et politique du Royaume-Uni.

On s’aperçoit même que la flotte anglaise n’a point été oubliée, et si le yacht royal Victoria-and-Albert n’est pas là sous vapeur, du moins des navires sont-ils dessinés sur la vitre des fenêtres, d’où l’on est censé voir la rade de Spithead. Avec de bons yeux, sans doute, on pourrait distinguer le yacht Enchanteress, ayant à bord leurs Seigneuries les lords de l’Amirauté, tenant chacun une lunette d’une main et un porte-voix de l’autre.

Il faut en convenir, Thornpipe n’a point trompé son public, en disant que cette exhibition est unique au monde. Positivement, elle permet d’économiser un voyage à l’île de Wight. Aussi est-ce un ébahissement, non seulement chez les gamins qui regardent cette merveille, mais également parmi les spectateurs d’âge respectable, qui ne sont jamais sortis du comté de Connaught ni des environs de Westport. Peut-être le curé de la paroisse ne laisse-t-il pas de sourire in petto ; quant au pharmacien-droguiste, il ne se cache pas de dire que ces personnages sont d’une ressemblance à s’y méprendre, bien qu’il ne les ait vus de sa vie. Pour le boulanger, il l’avouait, cela passait l’imagination, et il se refusait à croire qu’une réception à la cour d’Angleterre pût s’accomplir avec tant de luxe, d’éclat et de distinction.

« Eh bien, ladies et gentlemen, ce n’est rien encore ! reprit Thorn-