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éviction.

taient avec lui. Rien n’était capable de les retenir. P’tit-Bonhomme craignant de voir apparaître la police, passait ses journées à veiller aux environs de la ferme.

Entre temps, on vivait sur les dernières ressources. Quelques meubles avaient été vendus afin de se procurer un peu d’argent. Et l’hiver qui devait durer encore plusieurs mois !… Comment subsister jusqu’au retour de la belle saison, et qu’attendre d’une année qui semblait être irrémédiablement compromise ?…

À ces inquiétudes pour le présent et pour l’avenir, s’adjoignait le chagrin causé par l’état de Grand’mère. La pauvre vieille femme s’affaiblissait de jour en jour. Usée par les à-coups de la vie, sa triste existence ne tarderait pas à finir. Elle ne quittait plus sa chambre, ni même son lit. Le plus souvent P’tit-Bonhomme restait près d’elle. Elle aimait qu’il fût là, ayant entre les bras Jenny âgée de deux ans et demi, et qui lui souriait. Parfois, elle prenait l’enfant, répondait à son sourire… Et quelles désolantes pensées lui venaient en songeant à ce que serait l’avenir de cette fillette. Alors elle disait à P’tit-Bonhomme :

« Tu l’aimes bien, n’est-ce pas ?…

— Oui, Grand’mère.

— Tu ne l’abandonneras jamais ?…

— Jamais… jamais !

— Dieu fasse qu’elle soit plus heureuse que nous ne l’aurons été !… C’est ta filleule, ne l’oublie pas !… Tu seras un grand garçon, lorsqu’elle ne sera qu’une petite fille encore !… Un parrain, c’est comme un père… Si ses parents venaient à lui manquer…

— Non, Grand’mère, répondait P’tit-Bonhomme, n’ayez pas de ces idées-là !… On ne sera pas toujours dans le malheur… C’est quelques mois à passer… Votre santé se rétablira, et nous vous reverrons dans votre grand fauteuil, comme autrefois, pendant que Jenny jouera près de vous… »

Et, tandis que P’tit-Bonhomme parlait de la sorte, il sentait son cœur se gonfler, les larmes mouiller ses yeux, car il savait que