Page:Verne - P’tit-bonhomme, Hetzel, 1906.djvu/207

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
196
p’tit-bonhomme.

des contrées polaires. Les vents du nord prédominaient, et l’on sait de quelles froidures hyperboréennes ils se chargent. Par malheur, il était à craindre que cette période se continuât outre mesure, comme se prolonge la période algide chez les malades dévorés de la fièvre. Et, quand la malade, c’est la terre, qui se pétrifie sous l’action des frimas, qui se gerce à la façon des lèvres d’un moribond, on est porté à croire que ses facultés productives vont pour jamais s’éteindre, ainsi qu’il en est de ces astres morts gravitant à travers l’espace.

Les inquiétudes du fermier et de sa famille ne furent donc que trop justifiées par les rigueurs anormales de cette saison. Cependant, grâce au produit de la vente des moutons, M. Martin avait pu faire face au paiement des taxes et des loyers. Aussi, lorsque l’agent du middleman s’était présenté à Noël, avait-il reçu ses fermages intégralement — ce dont il parut quelque peu surpris, car, moins favorisé dans la plupart des fermes, il avait dû procéder par voie de justice à l’éviction des tenanciers. Mais comment Martin Mac Carthy ferait-il face aux échéances de l’année suivante, si l’excessive durée de l’hiver empêchait les prochaines semailles ?

D’ailleurs, il survint d’autres malheurs. Par suite de l’abaissement de la température, qui tomba à trente degrés au-dessous de zéro, quatre des chevaux et cinq vaches périrent de froid dans l’écurie et l’étable. Il avait été impossible de clore suffisamment ces bâtiments, en mauvais état, qui cédèrent en partie sous l’impétuosité des bourrasques. La basse-cour même, malgré tout ce que l’on put imaginer, subit des pertes très sensibles. Chaque jour, la colonne du déficit s’allongeait sur le carnet de P’tit-Bonhomme. En outre, ce qu’il y avait à craindre — et ce qui eût réduit la famille à une situation des plus critiques — c’était que la maison d’habitation ne pût résister à tant de causes destructives. Sans cesse, M. Martin, Murdock et Sim travaillaient à la réparer, à la consolider extérieurement. Mais ces murs en paillis, ces chaumes que le vent déchire, il est toujours à redouter qu’ils ne s’affaissent au milieu du tourbillon des rafales.