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le retour.

nant que ses moutons ne fissent pas entendre un long bêlement de reconnaissance. N’est-ce pas lui qui fond les neiges dont le sol est recouvert ? Pourquoi donc, en plein midi, au lieu de le regarder en face, ces animaux se serraient-ils les uns contre les autres, la tête basse, de telle façon qu’on ne leur voyait plus que le dos, faisant ce qu’on appelle leur « prangelle ». Décidément, les moutons sont des ingrats !

Il était rare que P’tit-Bonhomme ne fût pas seul sur les pâtures pendant la plus grande partie de la journée. Quelquefois, cependant, Murdock ou Sim s’arrêtaient sur la route, non pour surveiller le berger, car on pouvait se fier à lui, mais par goût d’échanger quelques propos familiers.

« Eh ! lui disaient-ils, le troupeau va-t-il bien, et l’herbe est-elle épaisse ?…

— Très épaisse, monsieur Murdock.

— Et tes moutons sont sages ?…

— Très sages, Sim… Demande à Birk… Il n’est jamais obligé de les mordre ! »

Birk, pas beau, mais très intelligent, très courageux, était devenu le fidèle compagnon de P’tit-Bonhomme. Il est positif que tous deux causaient ensemble, des heures durant. Ils se disaient des choses qui les intéressaient. Lorsque le jeune garçon le regardait dans les yeux en lui parlant, Birk, dont le long nez tremblottait au bout de sa narine brune, semblait humer ses paroles. Il remuait bavardement sa queue — cette queue qu’on a justement appelée un « sémaphore portatif ». Deux bons amis, à peu près du même âge, et qui s’entendaient bien.

Avec le mois de mai, la campagne devint verdoyante. Les fourrages faisaient déjà une chevelure touffue de sainfoin, de trèfle et de luzerne aux pâturages. Il est vrai, les champs, ensemencés de grains, n’avaient jusqu’ici que de menues pousses, pâles comme ces premiers cheveux qui apparaissent sur la tête d’un bébé. P’tit-Bonhomme éprouvait l’envie d’aller les tirer pour les faire grandir. Et, un jour