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ce qui s’est passé au donegal.

Cependant çà et là apparaissent quelques châteaux, environnés de verdure, qui charment le regard par leur fantaisiste ornementation d’architecture anglo-saxonne. Entre autres, plus au nord-ouest, du côté de Milford, se dresse l’habitation seigneuriale de Carrikhart, au milieu d’un vaste domaine de quatre-vingt-dix mille acres, propriété du comte de Leitrim.

Les cabanes ou huttes du hameau de Rindok — ce qu’on appelle vulgairement des « cabins » — n’ont de la chaumière que le chaume, toiture insuffisante contre les pluies hivernales, égayée par la capricieuse floraison des giroflées et des joubarbes. Ce chaume recouvre une hutte en boue séchée, renforcée d’un mauvais cailloutis, étoilée de lézardes, qui ne vaut point l’ajoupa des sauvages ou l’isba des Kamtchadales. C’est moins que la bicoque, moins que la masure. On n’imaginerait même pas que pareil taudis pût servir de logement à des créatures humaines, n’était le filet de fumée qui s’échappe du faîte émaillé de fleurs. Ce ne sont ni le bois, ni la houille qui produisent cette fumée, c’est la tourbe, extraite du marais voisin, « le bog » à teintes roussâtres, aux flaques d’eau sombre, tout enverdi de bruyères, et dans lequel les pauvres gens de Rindok taillent à même leurs morceaux de combustible[1].

On ne risque donc pas de mourir de froid au sein de ces âpres comtés, mais on risque d’y mourir de faim. À peine le sol fait-il l’aumône de quelques légumes et de quelques fruits. Tout y languit, à l’exception de la pomme de terre.

À ce légume, que peut ajouter le paysan du Donegal ? Parfois, l’oie et le canard, plutôt sauvages que domestiques. Quant au gibier, lièvres et grouses, il n’appartient qu’au landlord. Il y a aussi, éparses à travers les ravins, quelques chèvres, donnant un peu de lait, puis des cochons aux soies noires, qui trouvent à s’engraisser en fouillant de leur grouin les maigres détritus. Le cochon est le

  1. Les tourbières en Irlande, bogs rouges ou bogs noirs, occupent plus de douze mille kilomètres carrés, soit le septième de l’île, et, sur une épaisseur moyenne de huit mètres, comprennent quatre-vingt-seize milliards de mètres cubes.