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p’tit-bonhomme.

Il est venu de Castlebar, le chef-lieu du comté de Mayo, ce montreur de cabotins. S’étant dirigé vers l’ouest, il a traversé le col de ces hauteurs qui font face à la mer, comme la plupart des montagnes de l’Irlande : au nord, la chaîne du Nephin avec son dôme de deux mille cinq cents pieds, et au sud, le Croagh-Patrick, où le grand saint irlandais, l’introducteur du christianisme au IVe siècle, passait les quarante jours du carême. Puis il a descendu les dangereux raidillons du plateau de Connemara, les sauvages régions des lacs Mask et Corril qui aboutissent à Clew-Bay. Il n’a pas pris le railway de Midland-Great-Western qui met Westport en communication avec Dublin ; il n’a point chargé son bagage sur les malles, les cars ou les « carts » qui roulent à la surface du pays. Il a voyagé en forain, criant partout son spectacle de marionnettes, relevant de temps en temps d’un violent coup de fouet le grand chien qui n’en peut plus. Un féroce aboiement de douleur répond à ce cinglement lancé d’une main vigoureuse, et, parfois une sorte de gémissement prolongé à l’intérieur de la charrette.

Et après que l’homme a dit au robuste animal :

« Marcheras-tu, fils de chienne ?… » il semble qu’il s’adresse à un autre, caché dans la caisse de son véhicule, quand il crie :

« Te tairas-tu, fils de chien ? »

Le gémissement cesse alors, et la charrette se remet lentement en marche.

Cet homme s’appelle Thornpipe. De quel pays est-il ? Peu importe. Il suffit de savoir que c’est un de ces Anglo-Saxons, comme les îles Britanniques n’en produisent que trop parmi les basses classes. Ce Thornpipe n’a pas plus de sensibilité qu’une bête fauve, ni de cœur qu’un roc.

Dès que cet homme eut atteint les premières habitations de Westport, il suivit la rue principale, bordée de maisons assez convenables, avec boutiques aux pompeuses enseignes, où l’on ne trouverait que peu d’acquisitions à faire. À cette rue s’amorcent des ruelles sordides, comme autant de ruisseaux fangeux qui se jettent dans une limpide