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jacksonville.

les plus emportés font toujours la loi, et les modérés finissent inévitablement par subir leur domination.

Ce fut, bien entendu, dans les cabarets, dans les tiendas, que les gosiers, sous l’influence de liqueurs fortes, hurlèrent avec le plus de violence. Les manœuvriers en chambre y développèrent leurs plans pour opposer une invincible résistance à l’invasion.

« Il faut diriger les milices sur Fernandina ! disait l’un.

— Il faut couler des navires dans les passes du Saint-John ! répondait l’autre.

— Il faut construire des fortifications en terre autour de la ville et les armer de bouches à feu !

— Il faut demander du secours par la voie du chemin de fer de Fernandina à Keys !

— Il faut éteindre le feu du phare de Pablo, pour empêcher la flottille d’entrer de nuit dans les bouches !

— Il faut semer des torpilles au milieu du fleuve ! »

Cet engin, presque nouveau dans la guerre de sécession, on en avait entendu parler, et, sans trop savoir comment il fonctionnait, il convenait évidemment d’en faire usage.

« Avant tout, dit un des plus enragés orateurs de la tienda de Torillo, il faut mettre en prison tous les nordistes de la ville, et tous ceux des sudistes qui pensent comme eux ! »

Il aurait été bien étonnant que personne n’eût songé à émettre cette proposition, l’ultima ratio des sectaires en tous pays. Aussi fut-elle couverte de hurrahs. Heureusement pour les honnêtes gens de Jacksonville, les magistrats devaient hésiter quelque temps encore avant de se rendre à ce vœu populaire.

En courant les rues, Zermah avait observé tout ce qui se passait, afin d’en informer son maître, directement menacé par ce mouvement. Si on arrivait à des mesures de violence, ces mesures ne s’arrêteraient pas à la ville. Elles s’étendraient au delà, jusqu’aux plantations du comté. Certainement, Camdless-Bay serait visée une des premières. C’est pourquoi la métisse, voulant se procurer des renseignements plus précis, se rendit à la maison que M. Stannard occupait en dehors du faubourg.