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la crique noire.

à qui n’en connaissait pas les infinis détours. Une centaine d’îlots occupaient sa surface. Ni ponts, ni levées ne les reliaient entre eux. De longs cordons de lianes se tendaient de l’un à l’autre. Quelques hautes branches s’entrelaçaient au-dessus des milliers de bras qui les séparaient. Rien de plus. Cela n’était pas pour établir une communication facile entre les divers points de cette lagune.

Un de ces îlots, situé à peu près au centre du système, était le plus important par son étendue — une vingtaine d’acres — et par son élévation — cinq à six pieds au-dessus de l’étiage moyen du Saint-John entre les plus basses et les plus hautes mers.

À une époque déjà reculée, cet îlot avait servi d’emplacement à un fortin, sorte de blockhaus, maintenant abandonné, du moins au point de vue militaire. Ses palissades, à demi rongées par la pourriture, se dressaient encore sous les grands arbres, magnoliers, cyprès, chênes-verts, noyers noirs, pins australs, enlacés de longues guirlandes de cobœas et autres interminables lianes.

Au dedans de l’enceinte, l’œil découvrait enfin, sous un massif de verdure, les lignes géométriques de ce petit fortin, ou mieux, de ce poste d’observation, qui n’avait jamais été fait que pour loger un détachement d’une vingtaine d’hommes. Plusieurs meurtrières s’évidaient à travers ses murailles de bois. Des toits gazonnés le coiffaient d’une véritable carapace de terre. À l’intérieur, quelques chambres, ménagées au milieu d’un réduit central, attenaient à un magasin, destiné aux provisions et aux munitions. Pour pénétrer dans le fortin, il fallait d’abord franchir l’enceinte par une étroite poterne, puis traverser la cour plantée de quelques arbres, gravir enfin une dizaine de marches en terre, maintenues par des madriers. On trouvait alors l’unique porte, qui donnait accès au dedans, et encore, à vrai dire, n’était-ce qu’une ancienne embrasure, modifiée à cet effet.

Telle était la retraite habituelle de Texar, retraite que personne ne connaissait. Là, caché à tous les yeux, il vivait avec ce Squambô, très dévoué à la personne de son maître, mais qui ne valait pas mieux que lui, et cinq à six esclaves qui ne valaient pas mieux que l’Indien.