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nord contre sud.

Il ne rendrait pas la ville aux fédéraux, ce qui serait la remettre entre les mains de ces magistrats que la populace avait renversés. Il la brûlerait plutôt, et peut-être ses mesures étaient-elles prises en vue de cette œuvre de destruction. Alors, les siens et lui, se retirant à la suite des milices, trouveraient dans les marécages du sud d’inaccessibles repaires où ils attendraient les événements.

Toutefois, on le répète, cette éventualité n’était à craindre que pour le cas où la barre livrerait passage aux canonnières, et le moment était venu où se résoudrait définitivement cette question.

En effet, un violent reflux de la populace se produisait du côté du port. Un instant suffit pour que les quais fussent encombrés. Des cris plus assourdissants éclatèrent.

« Les canonnières passent !

— Non ! elles ne bougent pas !

— La mer est pleine !…

— Elles essaient de franchir en forçant de vapeur !

— Voyez !… Voyez !…

— Nul doute ! dit le commandant des milices. Il y a quelque chose ! – Regardez, Texar ! »

L’Espagnol ne répondit pas. Ses yeux ne cessaient d’observer, en aval du fleuve, la ligne d’horizon fermée par le chapelet des embarcations embossées par son travers. Un demi-mille au delà se dressaient la mâture et les cheminées des canonnières du commandant Stevens. Une épaisse fumée s’en échappait, et, chassée par le vent qui prenait de la force, se rabattait jusqu’à Jacksonville.

Évidemment, Stevens, profitant du plein de la marée, cherchait à passer, poussant ses feux à « tout casser » comme on dit. Y parviendrait-il ? Trouverait-il assez d’eau sur le haut fond, même en le raclant avec la quille de ses canonnières ? Il y avait là de quoi provoquer une violente émotion dans tout ce populaire réuni sur la rive du Saint-John.

Et les propos de redoubler avec plus d’animation, suivant ce que les uns croyaient voir et ce que les autres ne voyaient pas.