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les six jours qui suivent.

— Et, si tu t’appartiens, rien ne t’empêche de disposer de toi comme il te plaît ?

— Rien, monsieur Perry.

— Eh bien, à ta place, Pyg, je n’hésiterais pas. J’irais me proposer à la plantation voisine, je m’y revendrais comme esclave, et le prix de ma vente, je l’apporterais à mon ancien maître pour l’indemniser du tort que je lui ai fait en me laissant affranchir ! »

Le régisseur parlait-il sérieusement ? on ne saurait le dire, tant le digne homme était capable de déraisonner, lorsqu’il enfourchait son habituel dada. En tout cas, le piteux Pygmalion, déconcerté, irrésolu, abasourdi, ne sut rien répondre.

Toutefois, il n’y avait pas à cela le moindre doute, l’acte de générosité, accompli par James Burbank, venait d’attirer le malheur et la ruine sur la plantation. Le désastre matériel, c’était assez visible, devait se chiffrer par une somme considérable. Il ne restait plus rien des baracons, détruits après avoir été préalablement saccagés par les pillards. Des scieries, des ateliers, on ne voyait plus qu’un morceau de cendres, restes de l’incendie, d’où s’échappaient encore des fumerolles de vapeur grisâtre. À la place des chantiers, qui servaient à l’emmagasinage des bois déjà débités, à la place des fabriques, où se trouvaient les appareils pour « sérancer » le coton, les presses hydrauliques pour le mettre en balles, les machines pour la manipulation de la canne à sucre, il n’y avait que des murs noircis, prêts à s’écrouler, des tas de briques rougies par le feu à l’endroit où s’élevait la cheminée des usines. Puis, à la surface des champs de caféiers, des rizières, des potagers, des enclos réservés aux animaux domestiques, la dévastation était complète, comme si une troupe de fauves eût ravagé le riche domaine pendant de longues heures ! En présence de ce lamentable spectacle, l’indignation de M. Perry ne pouvait se contenir. Sa colère s’échappait en paroles menaçantes. Pygmalion n’était rien moins que rassuré à voir les farouches regards que le régisseur lançait sur lui. Aussi finit-il par le quitter pour regagner Castle-House, afin, dit-il, « de réfléchir plus à son aise à la proposition de se vendre que le régisseur venait de lui faire. » Et, sans doute, la journée ne put suffire à ses réflexions,