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nord contre sud.

Cependant le régisseur Perry faisait sa visite quotidienne aux divers chantiers et ateliers du domaine. Il put constater, lui aussi, les bonnes dispositions des noirs. Quoiqu’il n’en voulût pas convenir, il voyait que, s’ils avaient changé de condition, leur assiduité au travail, leur dévouement à la famille Burbank, étaient restés les mêmes. Quant à résister à tout ce que pourrait tenter contre eux la populace de Jacksonville, ils y étaient fermement résolus. Mais, suivant l’opinion de M. Perry, plus obstiné que jamais dans ses idées d’esclavagiste, ces beaux sentiments ne pouvaient durer. La nature finirait par reprendre ses droits. Après avoir goûté à l’indépendance, ces nouveaux affranchis reviendraient d’eux-mêmes à la servitude. Ils redescendraient au rang, qui leur était dévolu par la nature dans l’échelle des êtres, entre l’homme et l’animal.

Ce fut, sur ces entrefaites, qu’il rencontra le vaniteux Pygmalion. Cet imbécile avait encore accentué son attitude de la veille. À le voir se pavaner, les mains derrière le dos, la tête haute, on sentait maintenant, que c’était un homme libre. Ce qui est certain, c’est qu’il n’en travaillait pas davantage.

« Eh, bonjour, monsieur Perry ? dit-il d’un ton superbe.

— Que fais-tu là, paresseux ?

— Je me promène ! N’ai-je pas le droit de ne rien faire, puisque je ne suis plus un vil esclave et que je porte mon acte d’affranchissement dans ma poche !

— Et qui est-ce qui te nourrira, désormais, Pyg ?

— Moi, monsieur Perry.

— Et comment ?

— En mangeant.

— Et qui te donnera à manger ?

— Mon maître.

— Ton maître !… As-tu donc oublié que maintenant tu n’as pas de maître, nigaud ?

— Non ! Je n’en ai pas, je n’en aurai plus, et monsieur Burbank ne me renverra pas de la plantation, où, sans trop me vanter, je rends quelques services !

— Il te renverra, au contraire !