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mistress branican.

Meritt. J’ai déjà vu cela dans les provinces de l’est… dans le Queensland ! Ces chameaux ont été empoisonnés…

— Empoisonnés ?… répéta Dolly.

— Oui, dit Tom Marix, c’est le poison !

— Eh bien, reprit Jos Meritt, puisque nous n’avons plus d’autres ressources, il n’y a plus qu’à prendre exemple sur les cannibales… à moins de mourir de faim !… Que voulez-vous ?… Chaque pays a ses usages, et le mieux est de s’y conformer ! »

Le gentleman disait ces choses avec un tel accent d’ironie que, les yeux agrandis par le jeûne, plus maigre qu’il ne l’avait jamais été, il faisait peur à voir.

Ainsi donc les deux chameaux venaient de mourir empoisonnés. Et cet empoisonnement, — Jos Meritt ne se trompait pas, — était dû à une espèce d’ortie vénéneuse, assez rare pourtant dans ces plaines du nord-ouest : c’est la « moroïdes laportea » qui produit une sorte de framboise et dont les feuilles sont garnies de piquants acérés. Rien que leur contact provoque des douleurs très vives et très durables. Quant au fruit, il est mortel, si on ne le combat avec le jus du « colocasia macrorhiza », autre plante qui pousse le plus souvent sur les mêmes terrains que l’ortie vénéneuse.

L’instinct, qui empêche les animaux de toucher aux substances nuisibles, avait été vaincu cette fois, et les pauvres bêtes, n’ayant pu résister au besoin de dévorer ces orties, venaient de succomber dans d’horribles souffrances.

Comment se passèrent les deux jours suivants, ni Mrs. Branican ni aucun de ses compagnons n’en ont gardé le souvenir. Il avait fallu abandonner les deux animaux morts, car, une heure après, ils étaient en état de complète décomposition, tant est rapide l’effet de ce poison végétal. Puis, la caravane, se traînant dans la direction de la Fitz-Roy, cherchait à découvrir les mouvements de terrains qui encadrent la vallée… Pourraient-ils l’atteindre tous ?… Non, et quelques-uns demandaient déjà qu’on les tuât sur place, afin de leur épargner une plus effroyable agonie…