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situation de famille.

réussir. Mais il fallait avoir ce que Len Burker n’avait pas : la droiture des sentiments, la justesse des idées, l’honnêteté de l’intelligence.

Il importe d’insister sur ce point : c’est que ni John Branican ni M. William Andrew, ni personne ne soupçonnaient rien des affaires de Len Burker. Dans le monde de l’industrie et du commerce, on ignorait que cet aventurier, — et plût au ciel qu’il n’eût mérité que ce nom ! — courait à un désastre prochain. Et, même, quand se produirait la catastrophe, peut-être ne verrait-on en lui qu’un homme peu favorisé de la fortune, et non l’un de ces personnages sans moralité à qui tous les moyens sont bons pour s’enrichir. Aussi, sans avoir ressenti pour lui une sympathie profonde, John Branican n’avait-il à aucun moment conçu la moindre défiance à son égard. C’était donc en pleine sécurité que, pendant son absence, il comptait sur les bons offices des Burker envers sa femme. S’il se présentait quelque circonstance où Dolly serait forcée de recourir à eux, elle ne le ferait pas en vain. Leur maison lui était ouverte, et elle y trouverait l’accueil dû, non seulement à une amie, mais à une sœur.

À ce sujet, d’ailleurs, il n’y avait pas lieu de suspecter les sentiments de Jane Burker. L’affection qu’elle éprouvait pour sa cousine était sans restrictions comme sans calculs. Loin de blâmer la sincère amitié qui unissait ces deux jeunes femmes, Len Burker l’avait encouragée, sans doute dans une vision confuse de l’avenir et des avantages que cette liaison pourrait lui rapporter. Il savait, d’ailleurs, que Jane ne dirait jamais rien de ce qu’elle ne devait pas dire, qu’elle garderait une prudente réserve sur sa situation personnelle, sur ce qu’elle ne pouvait ignorer des blâmables affaires où il s’était engagé, sur les difficultés au milieu desquelles son ménage commençait à se débattre. Là-dessus, Jane se tairait, et il ne lui échapperait pas même une récrimination. On le répète, entièrement dominée par son mari, elle en subissait l’absolue influence bien qu’elle le connût pour un homme sans conscience, ayant perdu tout reste de sens moral, capable de s’abandonner aux actes les plus