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mistress branican.

chevelure laineuse, teinte en rouge, à la peau luisante, au nez gros, non épaté. En vue de manifester des intentions hostiles, ils agitaient leurs lances, leurs arcs, leurs flèches, après s’être rassemblés sous l’abri de cocotiers, qui se comptent par milliers dans ces régions du détroit.

Pendant un mois, jusqu’au 10 juin, après avoir renouvelé sa provision de combustible à Somerset, un des ports de l’Australie septentrionale, le capitaine Ellis visita minutieusement l’espace compris entre le golfe de Carpentarie et la Nouvelle-Guinée. Il relâcha aux îles Mulgrave, Banks, Horn, Albany, à l’île Booby, creusée de cavernes obscures, dans l’une desquelles est établie la boîte aux lettres du détroit de Torrès. Mais les navigateurs ne se contentent pas de déposer leurs lettres dans cette boîte, dont la levée n’est pas régulière, on le pense bien. Une sorte de convention internationale oblige les marines des divers États à faire des dépôts de charbon et de vivres sur cette île Booby, et il n’est pas à craindre qu’ils soient pillés par les naturels, car la violence des courants ne permet pas à leurs fragiles embarcations d’y accoster.

À plusieurs reprises, en les amadouant par des présents d’infime valeur, on réussit à communiquer avec quelques mados ou chefs de ces îles. Ils offraient en revanche du « kaiso » ou écailles de tortue, et des « incras », coquilles enfilées qui leur servent de monnaie. Faute de pouvoir se faire comprendre ou de comprendre leur langage, il fut impossible de savoir si ces Andamènes avaient connaissance d’un naufrage, qui aurait coïncidé par sa date avec la disparition du Franklin. En tout cas, il ne semblait pas qu’ils eussent en leur possession des objets de fabrication américaine, armes ou ustensiles. On ne trouva ni ferrures, ni pièces de charpente, ni débris de mâture ou d’espars, qui auraient pu provenir de la démolition d’un navire. Aussi, lorsque le capitaine Ellis quitta définitivement les insulaires du détroit de Torrès, s’il n’était pas à même d’affirmer que le Franklin n’était pas venu se fracasser sur ces récifs, du moins n’avait-il recueilli aucun indice à ce sujet.