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n’est pas une fonction qui va sans quelques ennuis, d’être l’ami d’un pareil homme.

Il vient d’être dit que Gildas Trégomain avait navigué, mais il y a navigateur et navigateur. Si maître Antifer n’était pas sans avoir visité les principales mers du globe, tant au service qu’au commerce avant de commander au grand cabotage, il n’en était pas ainsi de son voisin. Gildas Trégomain, exempté comme fils de veuve, n’ayant pas eu à partir comme matelot de l’État, n’avait jamais été sur mer.

Non ! jamais. Il avait aperçu la Manche des hauteurs de Cancale et même du cap Fréhel, mais ne s’y était point aventuré. Né dans la cabine peinturlurée d’une gabare, c’était sur une gabare que s’était écoulée sa vie. Marinier d’abord, patron ensuite de la Charmante-Amélie, il montait et remontait la Rance, de Dinard à Dinan, de Dinan à Plumaugat, pour la redescendre ensuite, avec un chargement de planches, de vins, de charbon suivant les demandes. À peine s’il connaissait les autres rivières des départements d’Ille-et-Vilaine et des Côtes-du-Nord. C’était un doux marin d’eau douce, rien de plus, tandis que maître Antifer était le plus salé des marins d’eau salée