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s’il y parvient, c’est la mort du Grand-Duc, objet de sa haine personnelle !

IVAN, à Sangarre. – Mais ils savent donc tout ?… Allons… (S’approchant.) Excellence !

LE GOUVERNEUR. – Que me veut-on ?… Qui ose se permettre ?…

IVAN. – Pardon, monseigneur…

LE GOUVERNEUR. – Ah ! c’est toi !… Eh bien !… Eh bien !… attends ! (Il continue d’écrire.)

IVAN, bas. – Que va-t-il décider ?

LE GOUVERNEUR, se levant. Au général. – Faites partir cette dépêche. Grâce à elle ce misérable ne passera pas la frontière, et toi… (Ivan s’incline.) tiens, voici ton permis… Personne n’entravera ta route !

IVAN, avec ironie. – Monseigneur, vous ne saurez jamais tout ce que je vous dois de reconnaissance !

LE GOUVERNEUR. – C’est bon, c’est bon !… Va !

IVAN, à part. – Viens, Sangarre… Libre maintenant, et bientôt vengé !

(Ivan, Sangarre et les Tsiganes sortent par la porte de gauche, en même temps que Jollivet et Blount entrent par la droite.)


Scène VII


Le gouverneur, le général, Jollivet, Blount, invités.


LE GOUVERNEUR, aux invités. – Eh bien, messieurs, n’entendez-vous pas l’orchestre qui vous appelle ? Voulez-vous autoriser les journaux étrangers à dire qu’une fête donner en l’honneur de Sa Majesté n’a pas duré jusqu’au jour ? Nous avons là des correspondants qui, j’en suis sûr, notent nos moindres impressions !

JOLLIVET. – Monsieur le gouverneur, les reporters sont curieux, mais non des indiscrets.

BLOUNT. – Curiousses toujours, indiscrètes jamais… les reporters anglais… jamais !

JOLLIVET. – D’ailleurs, en ce qui me concerne, je compte quitter Moscou après le bal, et je prie Votre Excellence de recevoir mes sincères remerciements.

BLOUNT. – Je priai de recevoir aussi les miennes… avant…

JOLLIVET riant. – Oui, ceux de monsieur… avant, pour votre bienveillant accueil…

LE GOUVERNEUR. – Et de quel côté dirigez-vous vos pas, messieurs ?

BLOUNT. – Moi… côté de Sibérie.

JOLLIVET. – Moi, de même !… Nous allons voyager ensemble, cher collègue !

BLOUNT. – Dans le même temps, oui… ensemblement, non !

JOLLIVET. – Toujours charmant, M. Blount !

LE GOUVERNEUR. – Bon, je comprends !… On a parlé d’un mouvement en Tartarie… Mais cela ne vaut pas la peine que vous vous dérangiez !

JOLLIVET. – Pardon, Excellence, mon métier est de tout voir…

BLOUNT. – Le mienne, de tout voir et de tout entendre… avant !

JOLLIVET. – Et mon journal… je veux dire… ma cousine, est très friande de ces nouvelles, dont elle recevra la primeur.

BLOUNT. – Le Morning-Post recevra...

JOLLIVET. – Avant ?… Impossible, cher confrère… Les dames sont toujours servies les premières !

LE GOUVERNEUR. – En tout cas, messieurs, vous m’appartenez jusqu’au jour, et je veux qu’après avoir assisté à la fête officielle, vous assistiez, du haut de ce balcon, à la fête populaire qui va commencer à minuit.

JOLLIVET. – Soit, nous partirons demain !… Si vous me le permettez, je vous ferai une proposition, monsieur Blount ! Nous sommes rivaux.

BLOUNT. – Ennemis, mister !

LE GOUVERNEUR, riant. – Ennemis !

JOLLIVET. – Ennemis, c’est convenu !… Mais, attendons, pour ouvrir les hostilités, que nous soyons sur le théâtre de la guerre… et une fois là, chacun pour soi, et Dieu pour…

BLOUNT. – Et Dieu pour moi.

JOLLIVET. – Et Dieu pour vous !… Pour vous tout seul !… Très bien. Cela va-t-il ?

BLOUNT. – Non !… cela ne allait pas !

JOLLIVET. – Alors, la guerre tout de suite… mais je suis bon prince. (Lui prenant le bras et l’emmenant à l’écart.) Je vous annonce, petit père, comme disent les Russes, que les Tartares ont descendu le cours de l’Irtyche.

BLOUNT. – Ah ! vous pensez que les Tertères…

JOLLIVET riant. – Et si je vous le dis, mon cher ennemi, c’est que j’en ai télégraphié la nouvelle à ma cousine, hier soir, à huit heures moins un quart ! (Riant.) Ah ! ah ! ah !

BLOUNT. – Et moi, hier, je l’avais télégraphié au Morning-Post, à sept heures et demie… Ah ! ah ! ah !

JOLLIVET. – L’animal !… Je vous revaudrai ça, mon bon gros monsieur Blount !

BLOUNT. – Vous moquez-vous encore, monsieur ?…

JOLLIVET. – Eh bien, non, mon bon petit monsieur Blount !… là !

BLOUNT. – Vous moquez toujours !

JOLLIVET. – Non...

BLOUNT furieux. – Vous moquez, je vous dis !… Vous moquez, monsieur, vous êtes une mauvaise vilaine homme !… une méchante personnage !… vous êtes une… (Tranquillement.) Comment vous appelez une personne qui parle sans politesse ?…

JOLLIVET. – Un impertinent.

BLOUNT tranquillement. – Impertinente… Very well… merci ! (Reprenant un ton furieux.) Vous êtes une impertinente, entendez-vous !…

JOLLIVET. – Très bien !

BLOUNT. – Et si vous continouyez !…

JOLLIVET. – Et si je continouye ?…

BLOUNT. – Je finissais un jour par touyer vous !

JOLLIVET. – Me touyer ?… Comprends pas.

BLOUNT. – Oui !… touyer avec une épi…

JOLLIVET. – Un épi de blé ?

BLOUNT. – Non… une épi ou une pistolette…