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IVAN. – Le droit de combattre pour la défense d’Irkoutsk.

LE GRAND-DUC. – Tu commanderas une des portes de la ville.

IVAN. – La porte Tchernaïa, Altesse, celle que les Tartares menacent le plus ?

LE GRAND-DUC. – Soit ! La porte Tchernaïa !

VORONZOFF, qui s’est approché de la fenêtre. – Altesse !

LE GRAND-DUC. – Qu’y a-t-il ?

VORONZOFF. – Il semble que l’ennemi cherche à se rapprocher de nos murailles.

LE GRAND-DUC. – Il nous trouvera prêts à le recevoir ! Venez, messieurs !

Tous sortent excepté Ivan.


Scène IV


IVAN, seul. – Oui, oui, nobles défenseurs de la patrie ! Allez, invincibles héros ! L’heure de la défaite et de la mort sonnera bientôt pour vous ! Et toi, brûle, cité maudite, que tes palais soient anéantis par le feu ! Que de tes maisons il ne reste plus que des cendres ! Ce n’est pas une ville qu’il faut aux Tartares, c’est un monceau de ruines ! Brûle donc, Irkoutsk, et périsse avec toi tout ce qui porte le nom détesté de Russe et de Sibérien !


Scène V


Ivan, Strogoff, un officier.


L’OFFICIER, à Strogoff. – Attendez ici !... Je vais aller prévenir Son Altesse le Grand-Duc de votre arrivée.

STROGOFF. – J’attends... Mais hâtez-vous.

IVAN, à part au fond. – Michel Strogoff. (L’officier sort.) Comment aveugle a-t-il pu arriver jusqu’ici ?

STROGOFF. – Il n’y a pas un instant à perdre !...

IVAN. – Oh ! non, pas un instant. (Appuyant sa main sur l’épaule de Strogoff.) Michel Strogoff, reconnais-tu ma voix ?

STROGOFF. – Oui, c’est la voix d’un traître !... C’est la voix d’Ivan Ogareff.

IVAN. – Ogareff, auquel tu n’échapperas pas, cette fois !... Ogareff, que n’arrêtera pas ce vain commandement du Koran qui protège les aveugles !... Ah ! tu te réjouis, n’est-ce pas ? d’avoir pu arriver à temps pour accomplir ta mission et sauver à la fois Irkoutsk et le Grand-Duc ?

STROGOFF. – Peut-être !

IVAN. – Tu espère encore !... mais sache donc que nous sommes seuls ici ! Avant que nul ne vienne, mon poignard, fouillant dans ta poitrine, t’en arrachera le coeur.

STROGOFF, froidement. – Essaye.

IVAN. – Tu oses me braver... quand je te tiens seul et sans défense !.... quand je n’ai qu’à choisir la place pour te frapper ! Ah ! comme je vais bien te tuer !

STROGOFF. – J’attends ! (Ivan s’approche de Strogoff, mais le coup est détourné, et Strogoff lui arrache son poignard.)

STROGOFF. – Eh bien, j’attends toujours.

IVAN. – Est-ce un rêve !... Un miracle n’a pu se faire pour ce misérable !...

STROGOFF, s’avançant vers lui et lui prenant le bras. – Alors, pourquoi trembles-tu ?

IVAN, voulant se dégager. – Non !... C’est impossible !...

STROGOFF. – Ivan Ogareff, ton heure suprême est arrivée !... Regarde de tous tes yeux, regarde !...

IVAN. – Miséricorde ! Il voit ! il voit ! il voit !

STROGOFF. – Oui, je vois sur ton visage de traître la pâleur et l’épouvante ! Je vois la trace du knout, le stigmate de honte dont j’ai marqué ton front ! Je vois la place où je vais te frapper, misérable ! Ah ! comme je vais bien te tuer !

IVAN, se redressant. – Soit ! Mais tu me frapperas debout ! Je mourrai du moins en soldat !

STROGOFF. – En soldat, toi ?... Non. Tu vas mourir comme doit mourir un traître, à genoux ! Allons, à genoux ! pour expier l’outrage que tu m’as infligé, à genoux ! pour avoir fait honteusement knouter ma mère, à genoux ! pour avoir trahi ta patrie... À genoux ! misérable, à genoux !

Ivan cherche à s’emparer du poignard pour en frapper Strogoff, et parvient à le lui prendre. Mais Strogoff lui saisit la main et la dirige de telle sorte qu’Ivan se frappe lui-même et tombe.


Scène VI


Les mêmes, le Grand-Duc, officiers, Voronzoff, Jollivet, Blount, Marfa, Nadia, Fédor.


LE GRAND-DUC. – Emparez-vous de cet homme. (À Strogoff.) Qui es-tu, toi qui as assassiné un courrier du czar ?

STROGOFF. – Michel Strogoff, Altesse, et voici Ivan Ogareff.

MARFA, entrant. – Oui ! Michel Strogoff, mon enfant ! Altesse, vous avez devant vous le dévouement et la trahison !

JOLLIVET, montrant Strogoff. – Et le dévouement, le voici !

BLOUNT, montrant Ivan. – Et le trahison, le voilà !

LE GRAND-DUC. – Quels sont ces hommes ?

STROGOFF. – Mes braves compagnons de périls !

JOLLIVET, désignant Blount. – J’ai l’honneur de présenter à Votre Altesse monsieur Blount, un courageux Anglais !

BLOUNT, même jeu. – Mister Jollivet, une Française aussi coura... bien plus courageuse !

LE GRAND-DUC. – Et vous affirmez ?...

BLOUNT. – Que celui-là était Ivan Ogareff !

JOLLIVET. – Et celui-ci est Michel Strogoff !

FÉDOR. – Le sauveur de ma fille, Altesse !

(Coups de canons rapprochés.)

STROGOFF. – Écoutez ! C’est le canon qui tonne !

LE GRAND-DUC. – Oui !... Les colonnes ennemies attaquent la ville ! Il faut défendre les remparts !

STROGOFF. – Non !... Écoutez encore !... Au canon qui gronde sous nos murs répond le canon plus lointain !... C’est aujourd’hui le 24 septembre !... Voilà l’armée de secours qui arrive !...